Bis repetita

Il y a un mois, un matin, Noéline Rostaing-Troux susurre à l’oreille de Slycine, sa belle Tarine, qu’elle doit se faire belle. Elle a été sélectionnée pour « monter » à Paris au Salon de l’agriculture. Honneur suprême pour une vache. Toilettage, bichonnage et embarquement avec d’autres futures concurrentes pour la capitale. Le voyage est long. À l’arrivée, surprise de voir de nouveaux pacages.

Imaginez un grand pré divisé en rectangles ou chacun a sa place. Le ciel est remplacé par un grand toit. Là-dedans, ça fait un tohu-bohu de tous les diables. Ma carrée est propre et nette. Mon propriétaire Nicolas Rostaing-Troux y veille à longueur de journée. Il parait qu’alentour ça chauffe sec. Président de la République en bras de chemise, tracteurs mécontents, la routine quoi.

Nous, nous sommes loin de tout ce vacarme, le nôtre nous suffit. Noéline me souffle que si je veux être la reine de la fête je dois être très sage. Comme si on ne savait pas se tenir quand on vient des montagnes mauriennaise… Elle me dit que bientôt des gens très sérieux viendront m’examiner sous toutes les coutures. Et en effet ils arrivent avec leur mine patibulaire, se permettant de me tâter sous toutes les coutures. Le bon roi Henri IV a dit « Paris vaut bien une messe », alors une belle médaille vaut bien quelques désagréments qui seront vite oubliés en cas de victoire. Car, gagner en Maurienne est une chose, le faire à Paris face à la concurrence nationale en est une autre. Finalement ils me laissent pour aller continuer leur manège ailleurs.

Nicolas et Noéline tournent comme des oiseaux en cage en attendant les résultats. Finalement ils tombent : Slycine, 3° prix dans la catégorie jeune, première lactation. Bis repetita : après Saint-Colomban (*), Paris ! Voilà que mes 2 accompagnateurs s’essuient les yeux en faisant en sorte que je ne les vois pas. Je les ai bien eus. Maintenant ils bombent le torse. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que je ne m’arrêterais pas là. Car il faut que l’on s’y mette tous depuis que l’été dernier, le groupement agricole d’exploitation en commun La Sabaudia (la ferme des Granges, où je réside) a été racheté à la commune de Valloire, une commune bien à l’écoute de son agriculture. Maintenant il faut payer, alors tous au boulot. Je vais donner du pis à tour de bras.

Durant le long voyage de retour j’ai eu le temps de ruminer, au propre comme au figuré. Si à Saint-Colomban l’on avait fait comme l’a fait Valloire, aurais-je décroché ce prix ? Certainement car l’herbe du col du Glandon ce n’est pas de la roupie de sansonnet comme dirait Adrien Maurino qui en « bave des ronds de chapeaux ». Paraît que c’est le lot des agriculteurs, ces vrais écolos qui luttent inlassablement contre l’envahissement de la vague verte… Et à quel prix…

Allez Slycine, haut le pis ! la nature a besoin de ton aide. Et puis, le lait, le beurre, la tome c’est tellement bon. On parle des produits fabriqués à partir du lait des pis des vaches, et non de ces ersatz, sans une goutte de vrai lait, que l’industrie peut mettre dans nos assiettes.

Gilbert Pautasso

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(*) Au comice agricole qui s’est déroulé à Saint-Colomban-des-Villards, le 14 mai 2023, Nicolas Rostaing-Troux concourait avec des bovins de race Tarentaise. Dans le concours « prix spéciaux », une de ses vaches (Jlycine, la mère de Slycine) a remporté trois prix : championne adulte, meilleure fromagère et grande championne. Trois de ses vaches Jlycine, Miriade et Ortensia, ont remporté le prix d’ensemble vaches laitières (lire Le Petit Villarin numéro 204, juin 2023).↩︎

■ Photo de « Une » : Pâturage de Valloire. – (Photo du GAEC La Sabaudia.)