Cérémonies du 14-Juillet aux Villards : des allocutions très politiques
Une cinquantaine de personnes à Saint-Colomban-des-Villards, une centaine à Saint-Alban-des-Villards, ont assisté aux cérémonies du 14-Juillet par un beau temps revenu et en présence de Gilbert Émieux président des Anciens combattants et victimes de guerre de Saint-Alban-des-Villards et Saint-Colomban-des-Villards, Marcel Louis, et Sébastien Sornet porte drapeau, membres des anciens combattants. Également présents des élus municipaux des deux communes (*). Les gerbes ont été déposées au pied des monuments aux morts par Marie-Thérèse Ledain et Cédric Émieux, conseillers municipaux, et Gilbert Émieux à Saint-Colomban et par Nicole Roche, adjointe au maire, et Annie Bordas, conseillère municipale, à Saint-Alban.

Le protocole ne prévoyant pas de discours officiels à lire pour les célébrations de la fête nationale, les deux maires ont prononcé des allocutions engagées pour défendre la République ou mettre en valeur des figures républicaines (lire ci-dessous), discours bienvenus au moment où l’on apprenait qu’une élue de la République proposait (à la réprobation générale quand même) de remplacer la devise républicaine « Liberté, Égalité, Fraternité » par « Travail, Famille, Patrie » la devise officielle de l’État français pendant la période dite du régime de Vichy (**). En attendant sans doute de substituer on ne sait quel chant à l’hymne national La Marseillaise qui a clos les deux cérémonies.
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(*) Cette année pas de représentants des sapeurs-pompiers villarins ni de la gendarmerie nationale, pas de musiciens de la batterie-fanfare l’Écho des montagnes non plus.↩︎
(**) Midi libre, édition numérique du 15 juillet 2024.↩︎
■ (Photos Jocelyne Nacef (« Une ») et Patrice Gérard.)
Saint-Colomban-des-Villards
Allocution de Pierre-Yves Bonnivard
Villarins, Villarinches, chers concitoyens,
Nous voici aujourd’hui rassemblés, comme tous les 14-Juillet, pour célébrer notre fête nationale, moment important de l’année. Il en est ainsi depuis 1880, année où la IIIe République en a pris la décision. C’est une référence au 14 juillet 1789, la prise de la Bastille, et surtout au 14 juillet 1790, fête de la fédération, manifestation qui se voulait être un moment de rassemblement et de répit dans la tourmente révolutionnaire. Partout en France, aujourd’hui, il y aura des moments de fête malgré une situation politique nationale complexe, proche d’une instabilité. L’année dernière, en 2023, cette journée s’était tenue dans un contexte d’émeutes qui avait touché plusieurs villes du pays. Cette année, c’est un contexte de tension politique nationale.
Notre présence devant le monument aux morts de notre commune est aussi un rappel à la vigilance. La liberté durement acquise et chèrement défendue au fil des siècles est sans cesse remise en question. Des évènements tragiques ont encore ponctué l’année qui vient de s’écouler, sur notre territoire national et surtout dans le monde : par exemple, la guerre en Ukraine qui se poursuit ; des peuples persécutés sur la majorité des continents ; des démocraties remises en cause. Concernant le conflit en Ukraine, il y a plusieurs réfugiés installés à Saint-Colomban et plus largement dans la vallée des Villards. Leur intégration est réussie. Nous aurons peut-être l’occasion de l’évoquer prochainement.
L’État continue de préserver notre sécurité et surtout les valeurs qui font l’identité de la France et le modèle qu’elle représente. Rendons donc hommage à l’ordre public républicain et à ceux qui veillent sur lui. Rendons également hommage à tous ceux qui assurent le fonctionnement du pays, malgré les situations de crise, que nous connaissons et qui se succèdent.
La République est notre bien commun. Elle est la garante de notre unité. En elle cohabitent les différences qui font la force de notre pays. Mais nous devons tenir une position claire qui aille dans le sens de l’intérêt général et qui respecte chacun d’entre nous, sans jugement, sans rejet de l’autre, mais avec plus de cohérence, plus de justesse, plus d’égalité et plus de fraternité. La République, la 5e que nous connaissons, est-elle encore adaptée à notre monde et à notre société actuelle ? La Constitution de 1958, qui régit notre organisation politique, avec le rôle majeur du président de la République, reste-t-elle d’actualité ? De nombreuses questions se posent, mais que ce 14-Juillet 2024 soit comme il l’a toujours été, un moment de partage dans la liberté, l’égalité et la fraternité.
Vive Saint-Colomban-des-Villards !
Vive la République ! Vive la France !
Pierre-Yves Bonnivard

Saint-Alban-des-Villards
Allocution de Jacqueline Dupenloup
En cette année 2024, je souhaite dédier notre cérémonie villageoise à 3 figures de la république française. Les deux premières ont eu des attaches avec notre département de la Savoie.
Jean Moulin
Je commencerai par Jean Moulin. Jean Moulin, plus jeune sous-préfet de France, à 26 ans, à Albertville, ensuite secrétaire du cabinet de Pierre Cot, un Savoyard de Coise, ministre de l’Air du Front populaire de 1936.
Le 17 juin 1940, il est préfet d’Eure-et-Loir. Les Allemands entrent dans Chartres. Ils tentent de lui faire signer au nom de l’État français, un document accusant, à tort, les troupes sénégalaises de l’armée française du massacre de civils, femmes et enfants, sur le chemin de leur retraite. Jean Moulin refuse de signer ce document qui serait un faux. Il est alors sauvagement battu, menacé et incarcéré par l’occupant. Afin de ne pas céder à la force, il saisit un tesson de verre et se tranche la gorge. Je le cite : « Je ne peux pas être complice de cette monstrueuse machination (…). Tout plutôt que cela, tout, même la mort. » Découvert ensanglanté au matin, il est sauvé par des religieuses.
Dès sa révocation par le maréchal Pétain, le 2 novembre 1940, il prépare son entrée dans la Résistance. En octobre 1941, il est présenté au général de Gaulle qui le nomme délégué au comité national français pour la zone libre. En l’espace d’un an et demi, celui qui utilisera comme nom de code « Régis », puis « Rex », et enfin « Max », fondera le Conseil national de la Résistance qui réussit dans les pires difficultés, à fédérer l’ensemble des composantes de la France résistante et à écrire le programme des Jours Heureux, d’où naquit notre Sécurité Sociale.
Mais la Gestapo, qui connaît l’existence de Max, le recherche activement. Jean Moulin, le 21 juin 1943, réunit les chefs de la Résistance à Caluire-et-Cuire. Peu après leur arrivée, la Gestapo fait irruption sur les lieux et arrête tous les participants. Ils sont torturés à plusieurs reprises par Klaus Barbie, qui parvient à identifier Max et lui fait subir les pires sévices. Malgré la torture, Jean Moulin ne dévoile rien du Conseil national de la Résistance. Il décède, corps et visage massacrés, probablement le 8 juillet 1943 en gare de Metz, lors de son transfert en Allemagne.
Voilà, en quelques mots, Jean Moulin, dont j’ai découvert avec un total effroi qu’on pouvait prononcer le nom de façon ironique, en 2024, dans un débat télévisé sur une chaine nationale.
Robert Badinter
La deuxième personne à qui je dédie notre cérémonie s’appelle Robert Badinter. Robert Badinter, mort le 9 février 2024, issu d ’une famille juive venue en France pour échapper aux pogroms en Bessarabie, Robert Badinter dont le père Simon fut arrêté dans la nuit du 8 au 9 février 1943, sous les ordres encore du sinistre Klaus Barbie, et déporté au camp d’extermination de Sobibor où il mourut. Robert Badinter, réfugié en 1943 et 1944 à Cognin en Savoie, qui disait « J’ai bien mesuré depuis que si nous avions échappé au sort qui était prévisible, nous le devions, pour une bonne part, aux habitants de Cognin qui nous avaient accueillis avec amitié, discrétion. (…) Cette protection discrète, cette chaleur, c’est sans prix quand on y repense. Ici en Savoie, nous avons été intégrés, protégés. C’est un prix inestimable car je n’ai jamais cessé de croire au triomphe de la justice, au triomphe du bien. »
Parce qu’il croyait en ce triomphe, Robert Badinter, qui aurait pu avoir en lui des haines profondes et des désirs de vengeance meurtrière, a fait inscrire dans la loi française l’abolition de la peine de mort et supprimer le délit d’homosexualité. Avocat, docteur en droit, garde des sceaux, président du Conseil constitutionnel, sénateur…
Notre collège de Saint-Étienne-de-Cuines portera très certainement le nom de Robert Badinter et c’est un grand honneur qui nous est fait.
Missiak Manouchian
La troisième personne à qui je souhaite dédier mon propos, c’est Missiak Manouchian, entré au Panthéon le 21 février 2024, 80 ans après avoir été fusillé par les nazis au Mont-Valérien avec 21 autres de ses compagnons de résistance, du mouvement des FTP Main d’oeuvre immigrée. Jean Moulin était mandaté dans la Résistance par le Général de Gaulle, Robert Badinter fut ministre de François Mitterand. Missiak Manouchian était communiste. Jean Moulin est né à Béziers, Robert Badinter à Paris, Missiak Manouchian en Arménie. Il n’a pas pu obtenir la nationalité française avant sa mort.
Et aujourd’hui ?
Après ces évocations, je voudrais parler du présent. Aujourd’hui, en 2024, la France vit une profonde crise politique. Aujourd’hui, quand on est maire d’une petite commune, quand on voit comme c’est difficile de la maintenir vivante, d’avoir des trains qui s’arrêtent à la gare la plus proche, d’avoir des services téléphoniques et numériques qui ne soient pas en panne tous les mois, de rompre l’isolement pour tous les âges de la vie, on se répète parfois les paroles de la chanson de Gauvain Sers :
« On est les oubliés
La campagne, les paumés
Les trop loin de Paris
Le cadet de leurs soucis
On est troisième couteau
Dernière part du gâteau
La campagne, les paumés
On est les oubliés. »
Et alors peut naître la colère. Mais elle ne peut que nous conduire dans des impasses plus grandes encore, des impasses qui nous feraient accepter celui qui ricane sur le nom de Jean Moulin, des impasses qui nous feraient accepter de discriminer les citoyens riches de deux nationalités, de deux cultures, de deux pays, de désigner l’ennemi par sa langue ou sa religion, des impasses qui nous feraient nous attaquer, tout simplement, à plus pauvres que nous.
Aujourd’hui, pour sortir de la crise, la solidarité, un nouveau partage des richesses pour plus de justice, doivent s’imposer dans notre pays. Le vrai rempart à l’insécurité et à la violence, ce sera çà. Il devient impératif, il devient vital, de tenir compte des communes les plus éloignées des services, comme des personnes les plus précaires. C’est la voix que je m’efforce de porter en tant que maire de Saint-Alban-des-Villards.
La solidarité, cela passe par des choses simples, quotidiennes. Suite à l’enquête sur la mobilité dans notre communauté de communes, à laquelle les habitants de Saint-Alban ont répondu en nombre, une expérimentation visant à remettre en service un transport en commun va avoir lieu. Du 15 septembre au 15 décembre, une fois par quinzaine, un petit bus devrait faire le tour de hameaux des Villards le jeudi matin en direction des services et du marché de La Chambre. Un essai qui j’espère pourra être transformé. De la même façon, l’amélioration du dépôt de déchets situé à Saint-Colomban est en train de se discuter au niveau intercommunal, nous espérons aboutir à des mesures positives.
Et puis bien sûr, il faut pouvoir boire un verre et grignoter un biscuit tous ensemble. C’est ce que je vous invite maintenant à faire…
Jacqueline Dupenloup
