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Antoine Ducruez, curé de Saint-Alban-des-Villards et prêtre réfractaire à la Constitution civile du clergé

Le 30 juillet dernier dans la salle de réunion du conseil municipal de la mairie de Saint-Alban-des-Villards – qui fait office de salle des fêtes en attendant la réhabilitation de l’ancien café du Merlet, programmée en 2025 –, devant une quarantaine de personnes, Patrice Gérard a donné une conférence sur les tribulations d’Antoine Ducruez, curé de Saint-Alban-des-Villards, pendant la Révolution française.

■ Quelques minutes avant le début de la conférence. – (Photo Patrice Gérard.)

Tout commence quand Antoine Ducruez refuse de prêter serment à la Constitution civile du clergé adoptée par l’Assemblée nationale (27 novembre 1790). Ce serment, imposé à tous les ecclésiastiques (14 août 1792), est exigé des prêtres savoyards après l’entrée des troupes françaises en Savoie le 22 septembre 1792. (Après cette action militaire, 658 délégués de Savoie – un par commune, ce qui correspond aux communes des actuels départements de la Savoie et de la Haute-Savoie plus 24 communes savoyardes qui furent cédées à la Suisse après la chute de Napoléon – se réunissent dans la cathédrale de Chambéry le 21 octobre 1792, votent pour (à 88,6 %) le rattachement à la France et s’autoproclament assemblée nationale des Allobroges.)

Comme d’autres prêtres savoyards (le chiffre de 91 % est parfois avancé), Antoine Ducruez quitte alors Saint-Alban (1793) pour Asti (Piémont) où il est accueilli chez les augustins. Lorsque la persécution cesse quelque peu, il retourne à Saint-Alban pour assurer clandestinement le service de la paroisse (juillet 1795). Trois ans plus tard (31 décembre 1798), le curé de Saint-Colomban-des-Villards, Antoine Ravoire est arrêté aux Roches, dénoncé par une habitante de ce hameau à qui les gendarmes ont promis de libérer son fils, soldat à l’époque. Quelques jours plus tard (début janvier), Antoine Ducruez échappe de peu aux gendarmes grâce à son frère, Ignace, et à une famille du Bessay (Joseph et Anne Frasson-Gorret et leur fils Colomban). Mais il est arrêté le 22 février 1799, et les deux prêtres villarins sont condamnés à la déportation à l’île de Ré (ils y retrouvent Pierre-François Tardy natif de Saint Colomban) d’où ils s’évaderont (avec plusieurs autres prêtres) un an plus tard, grâce à « la complicité d’un cordonnier qui avait ses entrées dans la forteresse ».

En mai 1800, Ducruez reprend son ministère « après 438 jours d’absence », et le 15 juillet 1801 le Saint-Siège et l’État signe le Concordat qui permet à la religion catholique d’être pratiquée partout en France, sans restriction. Il est peut-être été utile de rappeler ici que le serment à la Constitution civile du clergé (« Je jure de veiller avec soin sur les fidèles de la paroisse qui m’est confiée, d’être fidèle à la Nation, à la Loi, au Roi et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le Roi. ») était peu différent de celui qu’exigera le Concordat et qui n’a semble-t-il pas soulevé de contestation (« Les évêques et curés feront serment de fidélité au gouvernement » (…) et « le premier consul nommera les évêques »).

Antoine Ducruez est resté curé de Saint-Alban-des-Villards jusqu’en 1813. Il fut ensuite nommé à Bonvillaret (commune située à l’entrée de la Maurienne), puis à Hermillon (1815) où il mourut le 25 janvier 1827 à l’âge de 62 ans.

En prenant le point de vue subjectif d’Antoine Ducruez (dont peu d’écrits demeurent) et plus largement de l’Église de Maurienne et de Savoie complété par des rapports de la police locale, Patrice Gérard a retracé – durant plus d’une heure – l’expérience singulière d’un prêtre de montagne en butte au pouvoir central, sans prétendre faire de ce cas particulier la représentation d’une réalité nationale plus nuancée (*) et qui peut être comprise – replacée dans le temps long historique – comme la première étape d’un processus conduisant à la séparation de l’Église et de l’État… Mais ceci est autre débat.

■ Patrice Gérard. – (Photo Martine Paret-Dauphin.)

Plusieurs affirmations de cet exposé, très clair, auraient pu susciter des questions, mais seule Jacqueline Dupenloup est intervenue sur les propos introductifs de Patrice Gérard qui indiquaient : « (Pendant la Révolution) la Savoie (…) continuait son petit bonhomme de chemin. Les graves événements qui se produisaient dans le pays voisin laissaient les Savoyards pratiquement indifférents. Eux étaient en avance au point de vue social, au point de vue administratif, au point de vue fiscal, par rapport à leurs voisins, alors pourquoi s’intéresser à des idées nouvelles qui se voulaient révolutionnaires, qui ne pouvaient apporter que le désordre… Ils ne se sentaient pas du tout concernés. Seuls, peut-être, quelques personnages, la plupart habitants de grandes villes, comme Chambéry par exemple, soutenaient ces idées nouvelles. Les Savoyards et surtout les Mauriennais menaient donc une vie calme, tranquille et l’on peut dire que leur niveau de vie avait une certaine tendance à s’élever. Pour eux, tout semblait aller mieux que dans le pays voisin. »

Pour Jacqueline Dupenloup, ce « tableau est peut-être un peu trop idyllique car la Savoie était aussi un pays de très grande misère. Comme en témoignent par exemple l’immigration des Villarins qui étaient contraints d’aller chercher du travail ailleurs et le nombre de mendiants villarins morts à Saint-Jean-de-Maurienne qu’on trouve dans les actes de décès. Là où il y avait une avance de la Savoie, c’est dans le fait que les droits mobiliaux avaient effectivement déjà été rachetés, mais pour une part seulement et assez chers, par les communautés par exemple. Donc il y avait quand même une tension entre les nobles, les bourgeois et disons le peuple. » (**)

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(*) « Dans 43 départements sur 83, soit plus de la moitié, le nombre des ecclésiastiques fonctionnaires publics (curés, vicaires, professeurs, supérieurs et directeurs de séminaire) qui prêtèrent le serment pur et simple, conformément au décret du 27 novembre 1790, est de 14 047, et celui de ceux qui le refusèrent, y mirent des préambules ou des restrictions ou ne se présentèrent pas devant les municipalités, est de 10 395. La proportion des assermentés est de 57,6 %, soit près de 6/10. » Philippe Sagnac, Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1906, tome 8-2, pp. 97-115.↩︎
(**) Du 21 octobre au 28 novembre 1792, l’assemblée nationale des Allobroges vota la suppression de la noblesse, des droits souverains de la Maison de Savoie, des redevances féodales, de la dîme (due au clergé) et des biens du clergé et des émigrés.↩︎

■ Photo de « Une » : extrait d’acte d’état civil portant la signature du curé Antoine Ducruez. – (Photo Patrice Gérard.)

2 commentaires sur “Antoine Ducruez, curé de Saint-Alban-des-Villards et prêtre réfractaire à la Constitution civile du clergé

  • Merci pour le partage, un épisode que je ne connaissais pas et qui reflète bien le contexte troublé de l’époque.

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  • Darves-Blanc Christelle

    Merci pour le partage de ces informations qui permettent à ceux qui ne sont pas présents d’être un peu aux Villards.

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