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Retenue de Lachal : aucune avancée dans la modification de l’ouvrage

Le 28 mars 2023, suite aux laves torrentielles récurrentes lors de crues qui engravent la retenue et le lit du Glandon (en amont de celle-ci et jusqu’au pont du Moulin), faisant courir des risques aux habitations et aux biens situés rive droite du torrent, le préfet de la Savoie prenait un arrêté précisant la nature des travaux indispensables à engager : « remodeler le lit du Glandon sur tout le tronçon du torrent sur lequel la retenue a une influence directe (soit à partir de l’aval immédiat du pont du Moulin) afin d’établir une pente régulière et une section de passage trapézoïdale ; créer une ouverture dans le barrage existant dans l’axe du chenal afin de permettre le transit sans entrave des crues et laves torrentielles ; rehausser le merlon de protection rapproché rive droite ; remblayer les zones intermédiaires situées entre les remblais du chenal et les berges actuelles de la retenue. »

Cet arrêté fixait des dates butoir : « L’exploitant (doit) déposer un dossier de demande d’autorisation d’exécution de travaux (…) avant le 30 juin 2024, et attester par écrit auprès de la préfecture de la Savoie de la date de fin de réalisation de ces travaux. Cette date ne doit pas excéder le 30 juin 2025. »

Cependant, dans les deux mois qui ont suivi la publication de cet arrêté, le concessionnaire de l’ouvrage, la Société hydraulique d’études et de missions d’assistance (Shéma, filiale d’EDF qui gère une soixantaine de microcentrales), a déposé un recours contentieux auprès du tribunal administratif estimant que l’État avait pris une décision alors que la modification de l’ouvrage n’avait « été étudiée qu’à un stade très préliminaire » et que « sa pertinence, ses effets directs et indirects, sur le court comme le long terme, n’ont pas encore été évalués ». Par ailleurs, selon la Shéma, « d’autres solutions sont possibles et nos bureaux d’études (travaillent) pour les comparer sur tous les plans, afin de retenir celle qui offrira le meilleur compromis ».

Ce recours n’étant pas suspensif, un an plus tard où en est-on ?

À l’initiative du préfet de la Savoie, une réunion a eu lieu le 12 septembre dernier à Chambéry. Étaient présents autour du préfet et de la sous-préfète de Saint-Jean-de Maurienne, divers services de l’État (préfecture, RTM, la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement Auvergne-Rhône-Alpes, la direction départementale des territoires de la Savoie, le directeur de la protection civile), les représentants de la société concessionnaire (dont Jean-Yves Galland, directeur général de la Shéma, et Aude Poinot, chef de projets), les communes de Saint-Colomban-des-Villards (Pierre-Yves Bonnivard, maire, Christian Frasson-Botton et Christine Reffet, adjoints au maire) et de Saint-Alban-des-Villards (Jacqueline Dupenloup, maire (*)), etc.

Selon les informations que nous avons pu obtenir, côté villarin, les discussions ont porté sur les procédures de mise en sécurité du barrage et sur l’adaptation du dispositif de prise d’eau au contexte torrentiel du Glandon.

La sécurité du barrage

Sur ce point, de nombreuses questions ont été posées. Par exemple, l’ouvrage peut-il supporter sans rupture, dans la même année, 2 ou 3 phénomènes météorologiques violents et des crues comme celles de 2018 ou 2023 ?

■ Des berges dénaturées. – (Photo Le Petit Villarin.)

À ces interrogations, les exploitants ont répondu, en substance, qu’ils s’étaient nettement améliorés dans la détection des laves afin de les anticiper, qu’ils avaient beaucoup travaillé sur les indicateurs d’alerte météorologiques, et que les vannes de la retenue étaient ouvertes dès qu’un phénomène était susceptible de se produire (émission par Météo-France d’un bulletin orange pour la Savoie). L’opérateur sur place (Bernard Lago, Saint-Rémy-de-Maurienne) est aussi plus vigilant ; cette année par exemple il a ouvert 13 ou 14 fois les vannes. Cependant aucune réponse n’a été apportée sur la résistance de la structure en cas de laves torrentielles importantes, cette analyse n’ayant semble-t-il pas été effectuée lors de la constitution du dossier de demande d’exploiter dans les années 1990-2000.

Tous les services de l’État et les représentants des deux communes ont été unanimes pour réaffirmer que la retenue faisait obstacle à l’écoulement des laves torrentielles ce qui présentait un risque pour la sécurité des personnes, les habitations et les biens situés en bordure et à l’amont de la retenue, rive droite du Glandon. L’exploitant s’est inscrit en faux contre cette analyse indiquant que, selon lui, la cause du « problème » résidait dans le manque d’envergure du pont du Moulin.

■ Le pont du Moulin. – (Photo Le Petit Villarin.)

Bien que les services de l’État et les élus aient fait remarquer que même si on supprimait ce pont, certes sous-dimensionné, la retenue continuerait à retenir les dépôts, contribuant ainsi au rehaussement du lit en amont de l’ouvrage, le concessionnaire aurait constamment recentré la discussion sur le gabarit du pont estimant que, sur les gros événements comme celui de 2018 par exemple, c’est le pont qui accentue le fait que la lave arrive dans la retenue et représente un danger supplémentaire…

Il est cocasse que le concessionnaire pointe aujourd’hui la responsabilité pénale de la commune alors que la construction de la retenue est postérieure à celle du pont… N’est-ce pas aux concepteurs des nouvelles structures construites sur le cours d’eau de tenir compte des ouvrages déjà présents ? Ce qui a fait dire au maire de Saint-Colomban-des-Villards qu’en mettant en cause le gabarit du pont le concessionnaire cherchait à dégager sa responsabilité.

Le réaménagement de l’ouvrage

La Shéma a évoqué deux possibilités pour réaliser une nouvelle prise d’eau afin de créer une ouverture pérenne dans le barrage existant qui permettrait le transit sans entrave des crues et laves torrentielles : soit une prise d’eau latérale dans le Glandon (mais dans ce cas la production d’énergie serait moindre), soit une prise d’eau latérale dans le Glandon et une prise d’eau dans le torrent du Tépey, juste en amont de son confluent avec le Glandon. Dans les deux cas, il faudrait créer une conduite de jonction, parallèle au lit du Glandon, qui se raccorderait au départ de la conduite existante. Le coût de cette restructuration (sur le Glandon et le Tépey) serait de l’ordre de 8 millions d’euros (mais aucun détail précis des travaux à effectuer n’a été donné) auquel il faudrait ajouter le manque à gagner lié à l’arrêt de la production pendant les travaux. Naturellement, le concessionnaire attendrait une aide financière de l’État…

La première variante est débattue depuis quatre ans. Présentée en novembre 2020, son coût était estimé à quelque 4,8 millions d’euros. La seconde se heurte au fait que le torrent du Tépey est inscrit sur la liste 1 des cours d’eau protégés (**). (Sans parler du fait que ce projet soulèverait très probablement une forte opposition locale, ce qui a été soulignée.) 

Cette liste 1 répertorie « les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au code de l’environnement (et) sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s’ils constituent un obstacle à la continuité écologique ». Selon la Shéma, le déclassement du torrent du Tépey ne se ferait pas car toute procédure dans ce sens serait attaquée par les associations environnementales.

C’est à ce point de la discussion qu’on a appris que le Glandon était également classé sur cette liste 1, en partie, de sa source à son confluent avec le torrent de Bellard. Dans ces conditions, réaliser une prise latérale sur le Glandon et ouvrir le barrage ne pourraient très probablement pas être considérés comme une modification de l’ouvrage existant mais comme un aménagement nouveau qui nécessiterait de refaire toutes les demandes d’autorisation. Avec peu de chance d’aboutir… Au préfet qui proposait : « On va voir si on peut raccourcir les délais. », le concessionnaire aurait indiqué : « Nous ne voulons pas prendre les risques d’avoir une opposition à nouveau à ce projet. »

Le maire de Saint-Colomban-des-Villards a alors demandé s’il était possible de ne déclasser que le tronçon du Glandon concerné par les réaménagements envisagés. Réponse : ce déclassement est possible mais imposerait probablement des procédures très longues avec des risques d’opposition là-aussi.

Devant cette difficulté, le concessionnaire a suggéré de maintenir le barrage ouvert (avec arrêt de la production) pendant les périodes de possibles laves torrentielles c’est-à-dire en été. Le RTM a fait remarquer qu’on pouvait avoir des risques de crues à d’autres moments dans l’année qu’en saison estivale et qu’il fallait alors étendre l’ouverture de la retenue sur plusieurs mois. D’où la question posée par le maire de Saint-Colomban : « Si on réduit autant le nombre de mois d’ouverture de la retenue, y a-t-il encore un intérêt économique à produire ? » Réponse de la Shéma : « Oui, car si pour vous cet ouvrage est modeste, pour notre groupe il est très important. » 

Cette rentabilité explique sans doute pourquoi toutes les propositions du concessionnaire reviennent à conserver l’ouvrage actuel… quitte à améliorer sa sécurité par des mesures ad hoc. Pas sûr que ces dispositions a minima satisfassent les riverains.

Au terme de ces échanges, le préfet a observé qu’aucun dossier de demande d’autorisation des travaux prescrits par l’arrêté de 2023 n’avait pas été reçu en préfecture alors que le recours n’était pas suspensif. Un procès verbal de manquement (ou de carence) devrait être établi avec mise en demeure de réaliser les travaux à une date la plus courte possible, le préfet s’engageant à réduire la durée d’étude de cette autorisation de travaux. À la Shema qui aurait proposé une réalisation de ces prescriptions en 2026, le préfet aurait indiqué : « C’est trop long, anormalement long ! »

■ Le merlon sous Valmaure, rive gauche. – (Photo Le Petit Villarin.)

En fin de réunion des photographies prises par Christine Reffet ont été présentées. Elles montrent de manière particulièrement frappante l’état des lieux (lit et rives du Glandon, retenue) après les travaux de curage et de remodelage des berges réalisés durant l’été 2023. Devant ce qui ressemble à une catastrophe environnementale (que de nombreux intervenants semblaient découvrir…) le préfet a indiqué : « Là vous êtes en train de modifier complètement le terrain. Où sont les berges ? Ces merlons font combien de haut ? » Questions de bon sens qui ont conduit l’ensemble des participants à reconnaître la nécessité d’apporter des réponses concrètes quant à la mise en œuvre de l’arrêté préfectoral, sans qu’aucune décision concrète n’ait toutefois été actée…


… Sauf que, semble-t-il en réponse aux documents photographiques montrés, la Shéma, LGO (Lauzière gros œuvre, entreprise de travaux publics habituellement commanditée pour des travaux dans la retenue) et l’opérateur (société Lago) se sont retrouvés le 25 septembre dernier sur le site, à Lachal, pour examiner comment et où évacuer une partie des remblais du merlon situé rive gauche, sous Valmaure, que la préfecture demanderait de réduire en hauteur.

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(*) La retenue de Lachal alimente la centrale du pont du Bouchet sur la commune de Saint-Alban-des-Villards. Mais c’est la première fois que la commune de Saint-Alban-des-Villards est invitée à débattre de cette question.↩︎
(**) Arrêté du 19 juillet 2013 établissant la liste des cours d’eau mentionnée au titre I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement sur le bassin Rhône-Méditerranée. Dernière mise à jour des données de ce texte : 12 septembre 2013. Ce classement remplace ceux issus de la loi de 1919 relative à l’utilisation de l’énergie… Sur les Villards sont classés les torrents du Glandon (en partie), du Tépey et des Roches.↩︎

■ Photo de « Une » : la retenue de Lachal. – (Photo ONF.)

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