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Cécile Vuaillat et Grégory Le Goff vont reprendre l’épicerie du Prin

Depuis plusieurs mois, Josette Lièvre et Franck Ruzzin avaient annoncé à la municipalité de Saint-Colomban qu’ils ne feraient pas un troisième « mandat ». Sans doute usés par la précarité économique de cette aventure. Probablement, aussi, lassés par quelques incompréhensions au regard de leur implication… Arrivés en mai 2018, succédant à Aurore Pollet, et avec l’aide indispensable d’Isabelle Doudaine et de nombreux bénévoles, ils avaient innové en instaurant un mode de fonctionnement associatif qui a fait de ce commerce de proximité un lieu d’échanges devenu rapidement incontournable.

Consciente que ce commerce est vital pour les Villarins, résidents permanents (comme on a pu notamment le constater au moment du confinement imposé par la crise sanitaire) ou occasionnels (l’été ou l’hiver), mais aussi pour que les touristes des résidences, des hôtels, des meublés et des gîtes, privés ou communaux, n’aient pas à descendre dans la vallée, la commune de Saint-Colomban a lancé, dès l’été dernier, des appels d’offres pour rechercher des gérants (1). Et le choix du conseil municipal s’est porté (27 octobre dernier) sur Cécile Vuaillat et Grégory Le Goff qui résident à Mions dans la proche banlieue lyonnaise.

Âgés respectivement de 49 et 52 ans, Cécile Vuaillat et Grégory Le Goff forment une famille recomposée, chacun avec des enfants. Cécile Vuaillat a été pendant une vingtaine d’années « assistante administratif », un métier pour lequel elle est diplômée, et Grégory Le Goff a travaillé durant 20 ans chez Colas, une entreprise française de travaux publics filiale du groupe Bouygues, avant de se mettre à son compte comme artisan auto-entrepreneur à l’enseigne Greg Bricole.

■ Cécile Vuaillat et Grégory Le Goff, futurs gérants de l’épicerie. – (Photo X.)

Lorsque le dernier enfant a quitté la maison, le couple a décidé de se fixer de nouveaux objectifs. Grégory Le Goff : « Il y a deux ans, nous avons opté pour un changement radical de vie afin de nous fixer de nouveaux objectifs tout en s’éloignant d’un quotidien répétitif, et pour aspirer à un autre ailleurs ». Ayant vécu, enfant, dans une famille qui tenait une épicerie, le choix de reprendre ce type de commerce fut une évidence pour Cécile Vuaillat. La taille modeste de la commune de Saint-Colomban fut aussi un critère décisif « afin d’être dans un projet qui ait une valeur humaine en connaissant les clients et en leur garantissant un réel apport » car, selon Cécile Vuaillat, dans un village avec aussi peu d’habitants, « des personnes ont besoin d’autres personnes (…) et chacun apporte quelque chose ». « Mais, précise-t-elle, le nouveau commerce ne sera plus une structure associative mais une société commerciale. Et donc des activités actuellement en place ne pourront pas être maintenues. »

Connaissaient-ils Saint-Colomban ? « Oui, répond Grégory Le Goff, je connaissais la vallée du Glandon depuis que tout petit je venais régulièrement skier à Saint-François-Longchamp », et Cécile Vuaillat d’ajouter : « On aime la Maurienne ».

L’été dernier, alors qu’ils étaient « en repérage », la lecture du programme du 15-Août les a confortés dans l’idée que le village de Saint-Colomban « n’est pas mort, qu’il vit ». Cécile Vuaillat et Grégory Le Goff sont néanmoins conscients de la « difficulté de gérer une épicerie de montagne, avec cette saisonnalité qui fait passer la commune de plus d’une centaine de clients potentiels en novembre à quelques milliers autour du 15 août, et de l’importance primordiale de l’ouverture du col du Glandon pour les clients de passage, que ce soit en auto, en moto ou à vélo » Sur ces difficultés, « dés le début, tout a été clair pour le projet, précise Grégory Le Goff, et les relations avec les gérants actuels et la commune se sont révélées constructives. Rien n’a été caché. On est conscients qu’il y aura des périodes creuses… ».

L’épicerie étant gérée par une société commerciale (2) qui aura d’autres charges que celles que peut avoir une association, Cécile Vuaillat et Grégory Le Goff arrivent avec des idées : « L’agencement du magasin sera refait, comme une vraie épicerie de montagne, avec des rayonnages en bois fabriqués à partir de caisses en bois pour les pommes. (…) Le coin salon de thé devrait être conservé et une partie « snacking » sera développée. À côté de la vente du pain – sur réservation comme aujourd’hui –, des journaux, de la viennoiserie et autres produits locaux auxquels les clients villarins et les touristes tiennent, des nouveautés devraient apparaître comme, par exemple, un coin bricolage, un coin « dépanne-vélo » qui proposera la vente d’articles pour les cyclotouristes comme du matériel de réparation, pneus et boyaux, gourdes, etc., et peut-être un coin pêche qui permettra d’acheter fils, hameçons, etc. Enfin, la livraison des bonbonnes de gaz sera relancée, sur commande. On regrette que notre demande d’être un point relais n’ait pas reçu de réponse favorable, principalement à cause de la distance. »

Cette polyvalence ambitionnée explique pourquoi dans la convention d’occupation temporaire du domaine public, récemment approuvée par le conseil municipal de Saint-Colomban (lire ICI), ce commerce est qualifié de multiservice.

Cécile Vuaillat assurera la vente en magasin et Grégory Le Goff, lui, en sa qualité d’artisan, se « propose d’effectuer tout travaux d’aménagement intérieur et extérieur pour les particuliers ou les collectivités locales, aussi bien aux Villards qu’en Maurienne ». Naturellement, précise-t-il, « pendant les périodes creuses de mon activité, notamment le week-end où la fréquentation de la clientèle de l’épicerie est en hausse, j’aiderais à la gestion et à la vente dans l’épicerie ».

Depuis le début de l’année Cécile Vuaillat et Grégory Le Goff rencontrent les fournisseurs actuels du commerce et Josette Lièvre et Franck Ruzzin pour régler les derniers détails avant leur reprise, début mai (3).

Christophe Mayoux


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(1) Notamment via TF1 et la plateforme SOS Villages dont les annonces sont présentées chaque semaine dans le journal de 13 heures de cette chaine. En février, dans l’ex-canton de La Chambre, 3 offres étaient disponibles sur ce site : la pizzeria de Saint-Avre, le buraliste et le traiteur (Thomasson) de Saint-Étienne-de-Cuines.↩︎
(2) Une société au capital de 10 000 euros intitulée L’Épicerie des Villards a été créée le 10 janvier 2024. Son siège est à Mions. Adresse mail : epiceriedesvillards@gmail.com.↩︎
(3) Sous réserve de changement, l’inauguration est fixée le 6 mai.↩︎

■ Photo de « Une » : l’épicerie du Prin. – (Photo X.) 

Les commerces ruraux : un enjeu national de service public

En 2021, sur les quelque 36 000 communes que compte la France, 21 000 ne disposaient d’aucun commerce (58 %). Selon un sondage, l’une des principales causes qui expliqueraient ces désaffections, loin devant celles mentionnant la concurrence du commerce en ligne (23%) et des grandes surfaces avoisinantes (21%), le poids des réglementations administratives (10%), etc., serait le prix du loyer demandé aux exploitants non-propriétaires des murs (45%).

C’est bien ce que l’association Épicerie & compagnie a tenté – en vain semble-t-il – de faire comprendre aux élus de Saint-Colomban peu de temps avant qu’ils ne prennent leur décision. Dans une lettre datée du 6 octobre, constatant d’abord que la « baisse du loyer acceptée par la mairie – ramené à 50 euros pendant 6 ans – (avait) participé au meilleur fonctionnement financier de l’épicerie », le conseil d’administration (CA) de l’association regrettait ensuite que, « malgré les discussions que les membres du CA et les salarié(e)s de l’association ont pu avoir avec les élus, (…) la proposition de loyer pour le futur bail (ait été maintenue) à 350 euros. » Et de conclure : « (…) Cette épicerie est essentielle aux habitants, elle joue un rôle du point de vue de la sociabilité, de la convivialité et des rencontres entre les habitants. (Et) au-delà de la nécessité d’un loyer symbolique, se pose aujourd’hui la question du rôle que doit avoir la mairie pour assurer la pérennité de l’épicerie du village. Un soutien plus important n’est-il pas à envisager sous forme de subvention par exemple ? »

Dans le cadre de l’opération Reconquête du commerce rural, et après appel à projets, l’État finance chaque année des réinstallations de commerce (épiceries multiservices pour la plupart) dans des communes qui en sont dépourvus. Les aides financières peuvent atteindre 75 000 euros. En 2023, 224 projets de ce type ont été financés dont un dans la commune d’Abiez-le-Jeune (150 habitants). Pour la ministre déléguée au commerce de l’époque, Olivia Grégoire, ce qui se joue dans cette « reconquête n’est pas seulement une question de maillage territorial mais aussi de cohésion sociale». Ce dont on est bien convaincu aux Villards, après ce que Josette Lièvre et Franck Ruzzin nous ont donné à vivre pendant six ans avec un engagement peu commun et une générosité désintéressée…

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