Commémoration du 8-Mai : le rôle des maquis dans la libération de la Maurienne
La nouvelle de la capitulation de l’Allemagne survient alors que la France est presque entièrement libre. À la veille du 8 mai 1945, il ne reste que quelques poches tenues par les Allemands. Dans cette libération, village après village, ville après ville, les Forces françaises de l’Intérieur, les résistants des maquis, ceux qu’on a appelés l’armée de l’Ombre, ont tenu toute leur place.
Ce fut le cas en Maurienne comme en témoigne le livre Combats en Maurienne qui « retrace, avec passion et fierté, cette époque historique (du) département (de la Savoie), de la Maurienne en particulier. On y retrouve la Résistance sous son vrai visage, avec ses joies, ses peines, ses espoirs et ses meurtrissures… » Ce livre a été écrit « à chaud » par les Forces françaises de l’Intérieur (FFI) et publié dès juin 1945.
S’inspirant de ce document, Jacqueline Dupenloup a rendu hommage aux maquis de Maurienne dans un discours prononcé devant le monument aux morts de Saint-Alban lors de la cérémonie de commémoration du 8 mai 1945 :
« En décembre 1942, les camps du maquis prirent naissance en Maurienne, avec les jeunes réfractaires au service du travail obligatoire (STO) en Allemagne, STO dont Vichy disait qu’il permettrait de libérer des prisonniers français. En mai 1943, il y avait déjà Saint-Sorlin, Argentine, Valmeinier, Saint-Rémy-de-Maurienne, le Thyl, Saint-François-sur-Bugeon, 6 camps pour au moins 200 gars. Puis se créeront les bases d’Albiez-le-Vieux, La Chapelle, Saint-Léger, Épierre, Saint-Pierre-de-Belleville, Saint-Georges-d’Hurtières, Montvernier, etc. Je cite François Rousset, résistant de la première heure, qui fut à la Libération sous-préfet provisoire de Saint-Jean-de-Maurienne : « On ne dira jamais assez le courage de ces jeunes qui, pour ne pas trahir leur pays, ont accepté les pires souffrances, les plus grands sacrifices. » Début 1944, le maquis s’est structuré : l’armée secrète (AS) de basse Maurienne, en août 44, c’est 450 hommes répartis en 4 compagnies de Chamousset à La Chambre. »
« Le capitaine chargé de l’organisation de ce secteur de l’AS écrit : « Une section s’est particulièrement distinguée entre Aiguebelle et Épierre, celle commandée par Martin-Garin de la 1re compagnie. » Il s’agit de Joseph Martin Garin, né en 1914 à Saint-Alban-des-Villards, chef de section de gendarmerie en 1939, entré en résistance en janvier 1942, d’abord pour faire passer du courrier clandestin tout en restant brigadier, puis, les risques se multipliant à rester en poste, prenant le maquis sous le nom de Villard, au printemps 1943, immédiatement nommé chef de compagnie, car il fallait des cadres pour transformer en armée ces jeunes qui ne voulaient pas partir travailler pour le Reich en Allemagne. Interventions à Saint-Rémy-de-Maurienne, première libération d’Aiguebelle, défilé à Saint-Pierre-d’Albigny pour remercier la population de son soutien, passage par le col de la Vanoise pour rejoindre la Haute-Maurienne, retour en Haute Tarentaise, blessures aux Chapieux de Bourg-Saint-Maurice dans deux mètres de neige, combat à l’automne 44 à la tête d’une section de l’armée de Lattre de Tassigny dans le secteur de Belfort, combat dans les glaces et le froid à la frontière italienne au printemps 45, Joseph Martin Garin se battra jusqu’au 8 mai 1945. » (lire ci-dessous)
« À cette armée secrète de basse Maurienne s’ajoutent d’autres compagnies sur les secteurs plus hauts. Les Francs-Tireurs Partisans de Maurienne comptaient en 1944 deux bataillons avec cinq compagnies au total, 545 hommes. Ces centaines et centaines d’hommes, devaient se cacher, se nourrir et voulaient se battre, avec bien peu d’armes, fusils de chasseurs de chamois, armes récupérées au départ des Italiens, armes parachutées depuis l’Angleterre en des lieux soigneusement repérés, plateau de La Toussuire, alpages de Saint-Sorlin-d’Arves ou des Rochilles à Valloire… Réception des armes longuement attendues, tributaires des conditions météo, tombant parfois là où on ne les attendait pas exactement… Combats de libération, combats pour barrer la route des Allemands qui voulaient rejoindre l’Italie du Nord, qu’ils occupaient encore. De cette Italie du Nord leur vinrent hélas les renforts de la 90e division SS de l’Afrika Korps du Maréchal Rommel, qui furent pour beaucoup dans les atrocités qui frappèrent la population civile, villages incendiés, otages fusillés, maquisards abominablement torturés. »
« Afin de gêner et ralentir les Allemands qui devaient faire face aux débarquements sur deux fronts, les maquisards avaient aussi pour mission de détruire les pylônes soutenant les lignes Haute Tension, de saboter les usines produisant en direction de l’Allemagne, de couper fréquemment les voies ferrées… Un capitaine FTP écrit : « Toutes ces opérations étaient d’une importance capitale », sans elles, « les alliés se seraient substitués au maquis en usant d’un moyen radical, mais brutal et aveugle : le bombardement aérien. » »
Le livre Combats en Maurienne recense 99 civils et 78 maquisards tués, 70 personnes déportées ou prises en otage, 4 066 sinistrés auxquels s’ajoutent environ 7 200 sinistrés à Modane, Fourneaux et Saint-Michel-de-Maurienne du fait des bombardements alliés ; il cite, aussi, de nombreux exemples de civils, citoyens mauriennais, médecins, prêtres, secrétaire de mairie… qui ont aidé au ravitaillement du maquis, aux transports de message, aux soins aux blessés aussi, au péril de leur vie. Saint-Jean-de-Maurienne fut libéré le 2 septembre 1944, Saint-Michel-de-Maurienne le 4. Les résistants, mauriennais mais aussi haut-savoyards ou isérois, parfois étrangers, ont combattu, avec du matériel fourni par les alliés américains, et avec l’aide remarquable, en particulier les 12 et 13 septembre 1944, d’une compagnie d’un régiment de tirailleurs marocains qui reprit aux Allemands le fort du Sapey après deux jours de combat acharnés aboutissant à la libération de Modane le 14 septembre, tirailleurs marocains qui perdirent dix soldats dans cette bataille.
Jacqueline Dupenloup a conclu son discours avec les mots de Louis Aragon, poète résistant, tirés de son poème Marche française publié en 1944 :
« Ils nous dirent : Les yeux à terre
Il faut obéir ou se taire
Ils nous dirent : Tous à genoux
Les plus forts s’en iront chez nous
Ils ont jeté les uns aux bagnes
Pris les autres en Allemagne
Mais ils comptaient sans Pierre et Jean
La colère et les jeunes gens
Mais ils comptaient sans ceux qui prirent
Le parti de vivre ou mourir. (…)
Il faut libérer ceux qu’on aime
Soi-même soi-même soi-même »
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■ Photo de « Une » : Saint-Alban-des-Villards. – (Photo Martine Verlhac.)
Joseph Martin-Garin, un homme engagé
Joseph Martin-Garin est né le 20 août 1914 à Saint-Alban-des-Villards. À 14 ans, certificat d’études en poche, il passe la saison d’hiver à ramoner à Marseille dans l’équipe d’un maître ramoneur. L’argent qu’il gagne est envoyé directement à ses parents par le patron. Pour avoir son propre pécule, il vend des journaux à la sortie des cinémas. Et c’est ainsi qu’il achète son premier vélo. L’été, il revient à Saint-Alban aider son père, boulanger au Frêne, et travailler à la ferme. Il travaille également un temps au Eaux et Forêts avec Camille Darves-Bornoz. Dans les années 30, à Lyon, il travaille avec Pierre Frasson-Botton, arrachant des noyers pour récupérer les ronces utilisées pour faire des lits et des meubles.
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Un peu plus tard, à 16 ans, il devance l’appel et part au service militaire. À 18 ans il passe un concours et intègre l’école de gendarmerie de Bourgoin. Il est ensuite envoyé en Syrie et au Liban puis, en 1941, il prend le maquis et participe aux combats pour la libération de la Savoie notamment en Maurienne et en Tarentaise avant d’intégrer le 7e BCA et d’aller en Italie et en Autriche pour un an et demi environ. Bien qu’ayant été reçu à l’examen d’entrée à l’école d’officiers, il quitte l’armée et revient à Saint-Alban. En 1947, il épouse Andréa Moreggia et le foyer d’agrandit de 5 garçons. La famille quitte Saint-Colomban pour Chapareillan où Joseph Martin-Garin devient transporteur à son compte puis à Chambéry où il travaille à la chambre de commerce jusqu’à sa retraite en 1976 qui fut aussi l’année du décès accidentel de son épouse à l’âge de 54 ans. Il passera les 20 dernières années de sa vie entre les Villards et Albertville.
Au début des années 2000, Joseph Martin-Garin avait eu reçu une collégienne qui préparait un dossier pour participer au concours national de la Résistance et de la Déportation. Car revenu du Moyen Orient le 15 septembre 1941, Joseph Martin-Garin entre aussitôt dans la Résistance et devient chef de section du bataillon du capitaine Mordeley, dit David, basé à La Rochette. Il prend le nom de Villard. Les combats sont rudes, notamment lors d’un accrochage à Aiguebelle qui fit de nombreux morts chez l’ennemi. Et tout ne se passait toujours comme prévu. Joseph Martin-Garin témoigne : « (…) C’était dur, très dur ! Parce que tout de même, on a une certaine pensée… On pense à ces hommes qui dans 3 secondes, dans 2 secondes, seront morts. C’est dur ! » Quand les Alliés débarquent en Normandie (6 juin 1944), puis en Provence (15 août 1944), les allemands battent en retraite. Ils font sauter tous les ponts après leur passage (comme celui du Châtelet), incendient les villes… Joseph Martin-Garin : « Il y a eu une grande attaque pour la libération d’Aiguebelle. D’un côté il y avait nous et de l’autre côté le maquis de Haute-Savoie (…). Et alors ça a bardé moi je vous le dis ! Les Boches se sont défendus comme ils ont pu… Ils ont dû tuer une centaine des nôtres… Et nous on a fait 180 prisonniers… et 17 blessés. »
Pourquoi cet engagement ? À cette question tous les maquisards, des hommes simples, braves, modestes, ont toujours répondu, comme Joseph Martin-Garin : « On devait le faire, on s’est pas posé de questions. »
Jocelyne Martin-Garin (*)
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(*) Ce texte a paru une première fois dans Le Petit Villarin numéro 119, mars 2002.↩︎