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Dotations pour l’entretien de la chapelle du Bessay

La première chapelle du Bessay a probablement été construite en 1652 (lire encart ci-dessous). Trois actes extraits du Tabellion permettent de voir la façon dont cette chapelle – et plus généralement toute chapelle rurale dans un hameau – se procurait des revenus pour son entretien. De nombreux paroissiens du lieu font des reconnaissances devant notaire en léguant les revenus d’une partie de leurs terres (ceci nous permet de constater que la culture principale au Bessay ou alentour était le seigle). Précisons que la quarte est une unité de mesure utilisée pour les matières sèches (ici le seigle) qui peut varier en fonction des mesures « locales ». En Maurienne, une quarte équivaut à environ 13 litres. On connait l’état des récoltes pour chaque paroisse. En 1756, à Saint-Alban-des-Villards, on a récolté 3 000 quartes de seigle mais aussi 5 000 d’orge, 1 500 de foin, 1 000 d’avoine… et 100 de froment. On constate la prépondérance du seigle et de l’orge. Sur les lieux-dits qui ne sont pas toujours évident à localiser, on peut néanmoins situer sur un extrait du cadastre de 1867, les Terres de la chapelle et D’en haut la vie.

■ Lieu-dit Terres de la chapelle : 1. Emplacement de la chapelle ; 2. Direction Le Frêne ; 3. Direction Lachenal. – (Cadastre de 1867. Archives départementales de Savoie.)

• Premier extrait : « L’an 1702 et le 16 février, par devant moy notaire ducal, les témoins après nommez personnellement etablys honnestes Sébastien et Antoine frères enfans et coheritiers de feu Antoine Frasson-Gorret du Bessay parroisse de St Alban des Villars lesquels étant informez de la reconnaissance par leur dit feu père passé en faveur de la devote chapelle fondée rière le dit village du Bessey sous le vocable de Ste Anne et St Joseph portant de cense annuelle et perpétuelle de une quarte de seigle mesure de la cité de Maurienne daté du penultiême may 1652 reçu et signé par feu Maitre Louis Darve vivant notaire dudit lieu, duquel lecture leur a été faite par moy… Ils reconnaissent devoir de cense annuelle et perpétuelle à la susdite chapelle, scavoir une quarte de seigle entre les dits recteurs de ladite chapelle, au nom de Révérend messire Jean Frasson prêtre dudit lieu et recteur de ladite chapelle…, a chaque terme et fête de la Saint André apôtre…, la terre se trouvant située audit St Alban lieu-dit en Les Côtes des Planchamps jouxte la terre de François Frasson-Botton dessus, celle de Benoit Queysel dessous, la terre de Sébastien Favier et celle d’Alban et François Frasson-Gorret du levant et celle dudit Sébastien Favier feu Laurent du couchant…
Fait et prononcé audit St Alban chez moi notaire en présence d’honorable Jean feu Domenioz Favier et Joseph feu Claude Frasson-Sombet dudit lieu temoins requis
Notaire : Jean Claude Frasson notaire collégié dudit lieu » (*)

Une reconnaissance identique sera actée par Jean feu Domenioz Favier du Bessay, le même jour et la même date pour une quarte de seigle de cense sur une terre située à Saint-Alban-des-Villards au lieu-dit « Dessus La Vy ».

■ Lieu-dit D’en haut la vie : 1. Emplacement de la chapelle ; 2. Direction Lachenal. – (Cadastre de 1867. Archives départementales de Savoie.)

• Deuxième extrait : « Idem autre reconnaissance de Catherine fille de feu Jean Frasson-Formaz veuve d’Alban feu Jean Frasson du Costerg du village du Bessay, d’une quarte de seigle sur une terre située à St Alban au lieu-dit au Tremblay (vers le hameau du Frene). Autre reconnaissance d’une quarte de seigle par Jean feu Jacques Cartier-Resse du Bessay sur le territoire de St Alban au Bessay lieu-dit en Bartellet. Autre de Alban feu Jean Frasson dit Provencal d’une quarte de seigle à St Alban au lieu-dit à l’Adreyt des Combes. Autre de Balthazard et Louis frères enfans de feu Alban Darve du village du Bessey toujours d’une quarte de seigle à prendre sur une pièce de terre qu’ils possèdent par moitié située à St Alban lieu-dit à L’Adreyt de la Combe du Bessay. Enfin une reconnaissance pour deux quartes de seigle par Ambroise fille de feu François Queysel veuve de Balthazard feu Jean Darve du Bessay sur une terre à St Alban lieu-dit Les Côtes des Planchamps
Notaire Jean Claude Frasson notaire collégié dudit lieu »

■  « Reconnoissance pout la devote chappelle du Bessey fondée Sous le vocable de St Joseph et Ste Anne d’une quarte de Segle pour l’augmentation du revenu dite chappelle sous le Capital de 20 livres »

•  Troisième extrait : « L’an mil sept cent et cinq et le dix-neuf juillet par devant moy notaire public soubssigné et Présents les tesmoints bas nommés s’est personnellement estably et constitués honnete Louis Feu Jean Frasse de St Alban des Villards lequel degré pour luy et les siens confesse debvoir Et promet payer annuellement au recteur de la dicte chappelle la moitié d’une quarte de Seigle à chaque feste et terme de St André appotre pour rénovation de la moitié du legs Fait à la ditte chappelle par ledit Jean Frasse son feu père dont le premier payement commencera à la prochaine venant feste de St André et ainsi suyvant tous les ans… Acte fait et passé dans le cimetière dudit St Alban en présence de François Favier et Noël Cartier tous deux dudit lieux témoins requis.
Frasse Notaire » (**)

Philippe De Mario

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(*) Archives départementales de la Savoie, Tabellion La Chambre, 2 C 2209, année 1702.↩︎
(**) Archives départementales de la Savoie, Tabellion La Chambre 2 C 2213, année 1705.↩︎

Contribution à une histoire de la chapelle du Bessay

Cela commence par un petit cahier de 16 feuillets doubles qui enregistre chronologiquement, du 23 avril 1651 au10 juin 1652, toutes les « recognoissances de cense annuelle et perpétuelle contenant ypotèque pour la chapelle devoir à fonder par Honnête Laurent Favier de Sainct-Alban-des-Villards (…) soubs le vocable de Sainct Joseph et Saincte Anne… » En termes clairs, une vingtaine de particuliers s’engagent devant notaire (Louis Darves) à fournir chaque année une « quarte de seigle belle et recevable mesure de la cité de Saint-Jean-de-Maurienne » pour augmenter le revenu de la future chapelle. À partir de là, voici quelques dates repères pour suivre l’histoire de cette chapelle.

Le 24 avril 1691, un acte du notaire Frasson désigne le révérend Benoît Pépin comme recteur  succédant au révérend Favier natif de Saint-Alban-des-Villards et curé de Saint-Léger. Les noms de plusieurs témoins suivent. Mais quelle est la date exacte de la construction de cette première chapelle, pour le moment nous l’ignorons…

Le 14 mars 1716, une demande pour une messe à la Saint-Joseph et à la Sainte-Anne signale que « la chapelle est en estat ». Mais vers la fin de l’année 1755, c’est la catastrophe : un incendie ravage le hameau du Bessay et naturellement la chapelle.

Le 20 août 1761, la visite de Monseigneur Charles-Joseph de Martiniana est l’occasion d’un long rapport du révérend Antoine Garin, recteur de la chapelle et curé de Châteauneuf. Il succède au révérend Étienne Bard démissionnaire. On apprend ainsi que par les soins du curé en poste, des objets et des vêtements sacrés ont cependant pu être sauvés. Les habitants sinistrés durent avoir fort à faire dans les années qui suivirent l’incendie. Aussi faut-il attendre la mise en possession du révérend Personnaz, natif de Bessans, pour qu’apparaisse un espoir de reconstruction. En effet, Sébastien Personnaz est institué recteur le 27 octobre 1775 et une délibération de reconstruction est prise le 15 janvier 1776, « devant la masure » et en présence du curé de Saint-Colomban-des-Villards, Jacques Philippe Battallier, qui représente le recteur. Malheureusement cette décision reste sans effet puisque une seconde délibération sera nécessaire…

Le 30 août 1778, vingt-quatre habitants du hameau conviennent de réparer la chapelle à « frais communs ». Les patronymes ne vous étonneront guère : Bordon, Cartier, Chaboud, Darves, David, Favre, Frasse, Frasson, Frasson-Botton, Frasson-Duraz, Frasson-Gorret, Frasson-Sombet, Portaz, Queyzel et Ruffin. Cette fois c’est du sérieux !

■ La sortie nord du hameau du Bessay au milieu des années cinquante. Au fond la chapelle détruite en 1991. – (Carte postale, édition Dufour – Saint-Jean-de-Maurienne.)

Le 27 septembre 1778, une convention est signée, en présence du curé Mact et de témoins, dans le presbytère de Saint-Alban. Honnêtes Joseph, feu Louis Frasson-Gorret, et Michel, feu Jean Ruffin, représentent le révérend Sébastien Personnaz et sont députés par les habitants ; ils confient la reconstruction de la chapelle – « maintenant en chosal » (1) – à Michel François Tronchet et Jacques Portaz « maitres massons et charpentiers, pour le prix de 255 livres de Savoye payable en deux termes égaux, la moitié à moitié ouvrage fait et l’autre moitié lorsque la dite chapelle sera parachevée ». Celle-ci aura une largeur correspondant aux fondements de la précédente, vingt pieds de longueur en dedans (6,50 m) et seize de hauteur (5,20 m) « à mesurer depuis l’extrémité de la voûte qui sera en deux bonnets ». Le clocher sera en maçonnerie et le couvert en plumes (en chaume ?). Quoique un peu désordonnées, les précisions sont nombreuses. L’autel aura un gradin pour les chandeliers et un marchepied en bois. Il y aura trois fenêtres, deux à coté de la porte, une à côté de l’autel au levant et un œil-de-bœuf au-dessus de la dite porte. Elle devra fermer à clef et être terminée au début juillet de l’année suivante. Tous les matériaux seront fournis ainsi que deux manœuvres.

Le 17 août 1779, Jacques Portaz l’un des constructeur « acquitte » Joseph Frasson (Michel Tronchet ne sachant pas écrire se contente d’une croix). Ils ont reçu « le final et entier payement ». Deux documents intéressants nous apprennent cependant que l’autorisation de l’évêque (21 juin1779) a dû arriver en cours de travaux puisque le révérend Sébastien Personnaz a lui-même donné son accord le 9 juin et participé financièrement à l’opération par « l’abandon des revenus qui lui sont dus depuis 1778, à condition qu’on les fasse rentrer » ! En suite de quoi bon nombre de personnes qui doivent des quartes de seigle seront assignées. Mais maintenant les choses vont bon train !

Le 7 octobre 1779, le curé Mact écrit au vicaire général de Maurienne (le siège épiscopal étant vacant) au nom de Joseph Frasson et Michel Ruffin, procureurs des particuliers et des habitants du Bessay : « Ayant fait rebâtir dans le courant du mois de juin dernier, la chapelle sous le vocable de Saint-Joseph et Sainte-Anne et l’ayant pourvu de tout ce qui est nécessaire à la célébration des Saints Mystères…, les bienfaiteurs désirent qu’on la bénisse afin de pouvoir l’utiliser. »

Le 11 octobre 1780, soit un an après la requête des habitants, c’est fait : la chapelle est bénite par le curé Mact.

Le 22 janvier 1780, un reçu de 57 livres est signé par Joseph de Dominique, peintre « pour le tableau et cadre et couleur passé sur le dit cadre », Joseph Frasson, procureur, a donné l’argent.

Le 20 août 1883, le curé de Saint-Alban-des-Villards et le président de la Fabrique (2) dresse un inventaire extrait signé par David et Jean-Baptiste Quézel. Extrait : « La chapelle du Bessay constituait, avant les évènements de 1793, un véritable bénéfice (3) indépendant dont la collation appartenait à l’évêque. D’ordinaire, le souci d’en toucher les revenus, d’ailleurs assez importants, était dévolu à quelques révérends chanoines qui venaient en prendre possession, et, dés lors, ne reparaissaient plus. Pour éviter les murmures et le scandale, comme écrivait un de ces chanoines en 1600 et quelques, le révérend curé était prié d’aller célébrer les offices à la fête patronale et deux ou trois autres fois l’année, sous un honoraire équivalent à peu prés à 2 frs 50 de nos valeurs actuelles. Mais la Révolution a emporté les biens de la chapelle et les soucis des autres. N’ayant aucune fondation de ces pauvres bénéficiers ou de leurs ayants droit pour la maintenance, la Fabrique n’a jamais voulu prendre connaissance de cette chapelle, de ses revenus fixes ou variables, s’il en existe. En soi l’édifice est bien convenablement conservé, entretenu. Il fut un peu réparé à l’aide d’une quête en1878. Mais le mobilier, calice compris, ne vaut, certainement pas 100 frs. »

Le 10 octobre 1894, c’est le curé Roche qui indique : « Cette chapelle assez en bon état menaçait ruine, le toit du levant étant complètement usé. Comme elle n’a aucun revenu, j’ai fait une cueillette dans le village (qui a) produit 67 frs 50. J’ai fait couvrir à neuf cette pente, regotoyer les autres… » (Regotoyer en français local du XVIIe siècle signifie remanier les ardoises (ou les tuiles) d’un toit. En patois villarin : régotéyer.)

Dans l’état actuel de nos recherches, nous n’avons pas d’autres informations sinon que la suite est plus proche de nous… Peut-être pourrait elle être évoquée par nos contemporains plus ou moins anciens. Cette deuxième chapelle est « morte » l’été 1991 (4). Longue vie à la troisième !↩︎

Ginette Paret (§)

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(§) Cet article a été publié une première fois dans Le Petit Villarin numéro 80 (juin 1992).
(1) Chosal : ruine. En patois villarin : chaza.↩︎
(2) Fabrique : autrefois, biens, revenus de l’église, ou le conseil qui veille à l’administration de ces biens. C’est pourquoi nous trouvons des documents relatant les délibérations des conseils de Fabrique et des inventaires de la Fabrique.↩︎
(3) C’est l’évêque qui donnait le « bénéfice », c’est-à-dire ici, le titre de recteur de la chapelle, titre qui permettait de toucher les revenus de celle ci…↩︎
(4) N. D. L. R. : Sa destruction et la reconstruction de la chapelle actuelle, un peu en retrait de son emplacement initial, a donné lieu à des échanges vifs entre Andrée Quézel-Crasaz qui dénonçait ce déplacement (Le Petit Villarin numéro 78, décembre 1991, et La Maurienne numéro 2159, édition du 26 décembre 1991) et Maurice Chabrier alors maire de Saint-Alban-des-Villards qui le justifiait pour élargir la route (La Maurienne numéro 2161, édition du 9 janvier 1992). La nouvelle chapelle a été bénite par le père Melquiot le 28 août 1994. ↩︎

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