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Évolution de l’enneigement du domaine skiable villarin : une étude souffle le chaud et le froid…

Les conclusions de l’étude sur l’évolution de l’enneigement du domaine skiable villarin dans les prochaines décennies ont été présentées par Carlo Carmagnola, professeur de ski à l’ESF, nivologue, spécialiste de la neige au centre d’études de la neige de Météo-France et au cabinet Dianeige, et membre de Climsnow (1). Cette étude avait été commandée par la commune de Saint-Colomban.

Méthodologie, modèle, les indicateurs clés

Le modèle utilisé pour cette simulation est le même que celui qui permet à Météo-France d’alerter sur les risques d’avalanches. Carlo Carmagnola : « On simule les précipitations de neige et leurs évolutions dans le temps, on travaille aussi sur le damage, le compactage et le fraisage de la neige naturelle mais également sur l’effet de la neige de culture, etc., pour obtenir une modélisation de l’évolution physique du manteau neigeux à l’horizon 2050 et jusqu’en 2100. On a pris deux scénarios d’émission de gaz à effet de serre correspondant à des augmentations de température de + 4 °C et de + 1,5 °C, même si, en France, il est maintenant recommandé de multiplier ces températures par un facteur 1,5 car notre pays est situé loin des masses d’eau (le Pacifique par exemple) qui atténuent les écarts de température calculés par le GIEC. »

Les calculs tiennent comptent de la topographie locale (altitude, pente et orientation des pistes) et des caractéristiques du domaine skiable villarin qui s’étend sur 25,8 ha (dont 11,2 ha recouverts de neige de culture, 43 %) et développe 32,1 km de pistes. La longueur des remontées mécaniques est de 5,9 km pour un dénivelé total de 1 831 mètres et un moment de puissance total de 1 759 km.pers/h (2). Entre 2012 et 2020, 38 000 m3 d’eau ont été utilisés en moyenne par saison pour produire de la neige artificielle.

Au final, deux indicateurs sont calculés et analysés :
l’indice de fiabilité de l’enneigement qui donne le pourcentage de pistes de ski qui restent viables sur les périodes de forte fréquentation. La valeur de cet indice est valable pour toute la saison mais son calcul a été pondéré à la fois au niveau spatial (des pistes ont plus d’importance que d’autres) et temporelle (« on a donné plus de poids à un week-end de février qu’à un lundi de janvier par exemple »)…
la fréquence (ou le taux) de retour des mauvaises saisons en termes d’enneigement qui sera à comparer avec celui établi pour la période 1986-2015 qui est de 20 %. « Ce qui signifie que dans un monde où le climat ne changerait pas on aurait en moyenne une mauvaise saison sur 5 comme actuellement. »

Principaux résultats

Que retenir des multiples résultats présentés durant quelque 50 minutes sous forme de tableaux, cartes et autres graphiques ? La conclusion peut-être (dont l’intervenant a indiqué, avant de la lire, que « chaque mot avait été pesé et écrit avec beaucoup d’attention »), conclusion qui résume bien a elle seule les ambivalences (probablement inévitables) de telles approches qui visent à calculer des prédictions à 30 ans et au-delà.

La voici (les mots soulignés le sont dans le texte tel qu’il a été projeté) : « En résumant, malgré la baisse attendue de l’enneigement naturel, Climsnow permet d’identifier les secteurs pour lesquels l’enneigement peut demeurer adéquat pour la pratique du ski à Saint-Colomban-des-Villards. Les résultats montrent que, du fait du damage des pistes (augmentant la durée d’enneigement) et de l’apport de la neige de culture (qui reste globalement productible dans les prochaines décennies), le changement climatique aura un impact significatif mais maîtrisable à l’horizon 2050. Cependant, sur la plus grande partie du domaine la viabilité des pistes sera garantie essentiellement par la neige de culture et les saisons défavorables en termes d’enneigement se feront dans tous les cas de plus en plus fréquentes (jusqu’à 6 hivers sur 10 en 2050), avec des conditions d’exploitation plus difficiles et une dégradation de la fiabilité de l’enneigement (naturel + de culture). Par conséquent, les prochaines décennies, tout en permettant globalement toujours la pratique du ski, devront aussi être mises à profit pour engager une transformation, au moins partielle, de l’offre touristique de la station. »

Dans les échanges qui ont accompagné et/ou suivi cette présentation, plusieurs points ont été abordés et/ou discutés plus précisément.

L’évolution des deux indices ne change pas notablement entre le domaine skiable actuel et le domaine skiable avec la prise en compte des projets municipaux. Dans les deux cas, la partie la plus exploitable (la plus « viable ») se limiterait à la piste desservie par le télésiège du col de Bellard…

À l’horizon 2040 (c’est-à-dire demain), on aurait un taux de retour des mauvaises saisons de 60 % (6 saisons mauvaises sur 10) soit 3 fois plus qu’actuellement…

Le nombre de jours pendant lesquels la pratique du ski serait possible sur le domaine considéré a été calculé pour 3 altitudes (1 082 m, 1 575 m et 2 224 m) et 3 types de neige (couche minimale de 20 cm) : naturelle, naturelle damée, neige de culture damée (produite par un réseau perfectionné). Ce nombre varie, pour l’horizon 2050 par exemple, entre 12 jours (neige naturelle) et 115 jours (neige de culture d’un réseau perfectionné) à 1 082 m d’altitude, entre 66 jours (neige naturelle) et 136 jours (neige de culture d’un réseau perfectionné) à 1 575 m, et entre 130 jours (neige naturelle) et 160 jours (neige de culture d’un réseau perfectionné) à 2 224 m.

Neige artificielle : les limites de l’installation actuelle

Revenant sur ces durées calculées de l’enneigement du domaine skiable, l’un des participant a fait remarquer qu’elles supposaient un impact « énorme » de la neige artificielle…

Carlo Carmagnolo : « Oui car le potentiel de froid va rester intéressant, si vous avez naturellement les équipements nécessaires. Car on a fait un modèle calibré sur la moyenne de ce qu’on fait ailleurs (dans les autres stations) en termes d’enneigeurs, de température de démarrage (de la production), de rendement de production des ennneigeurs, etc. Mais ce n’est pas votre cas, donc le modèle est idéalisé pour vous. »

Le modèle est idéalisé et ses résultats sont donc à prendre avec circonspection, d’autant que Julien Mairot, directeur opérationnel de l’exploitant (SSDS régie intéressée de Saint-Colomban-des-Villards), a dressé un constat sans concession de la production de neige de Saint-Colomban : « L’installation cumule tous les défauts qu’on peut imaginer, c’est-à-dire beaucoup de dénivelé à vaincre, beaucoup d’enneigeurs, une puissance de pompage faible, pas de stockage d’eau et en plus il y a des problèmes de turbidité. »

Or l’étude Climsnow montre que posséder un réseau de production de neige performant est capital. Carlo Carmagnolo : « Avec un climat qui change, où il va faire de plus en plus chaud et où il y aura de moins en moins de neige, il faudra consommer de plus en plus d’eau pour produire davantage de neige à la fois pour compenser le manque de neige mais aussi pour compenser la fonte journalière… Donc il faut prévoir d’augmenter la consommation d’eau. Or le modèle indique qu’à Saint-Colomban on est déjà en limite de capacité de ce qu’il faudrait faire. Pour compenser l’évolution climatique il faudra s’équiper de façon très significative et très importante… Aura-t-on assez d’eau. Je ne sais pas. Cette question dépasse les compétences de Climsnow qui ne peut réaliser qu’une étude nivologique. Il faut pour répondre à l’augmentation de la consommation d’eau une étude hydrologique qui est très complexe. »

Mais Julien Mairot insiste : « Sur Saint-Colomban on a un vrai problème administratif (car) l’arrêté préfectoral qui autorise la commune à prélever de l’eau pour le domaine skiable indique que le prélèvement doit se faire en décembre, janvier et février et pour 39 000 m3 au total. Pas un mètre cube de plus. Or c’est un problème car sur le domaine skiable on a plutôt une bonne couverture d’enneigeurs, on en a 62. Mais 1 enneigeur consomme environ 1 000 m3 d’eau, donc déjà pour faire un plan de production normal il faudrait 62 000 m3 d’eau prélevables. Et si on ajoute le supplément nécessaire dont parle l’étude Climsnow, on devrait être à 100 000 m3 pour être tranquille. Donc il faudrait modifier l’arrêté préfectoral, mais là on part pour 10 ans de dossier et encore si ça ne tourne pas à la guerre civile comme à La Clusaz. Par ailleurs, en plus du volume d’eau prélevable, 39 000 m3, petit, on dispose de zéro m3 d’eau stocké… Actuellement on prend l’eau nécessaire au fil de l’eau du ruisseau de Bellard, mais il faut qu’il y ait du froid (- 4°C) et pas trop d’eau non plus car sinon on charge en turbidité et si on charge trop de sable on bouche les nucléateurs et on réduit la performance de l’appareil. Or pour bien produire il faut une retenue colinéaire de façon à stocker le volume annuel de production, qui serait ici de 100 000 m3, et une puissance instantanée maximale de production pour le vider le plus vite possible car, comme les créneaux de froid vont se raréfier, il faut qu’on soit en capacité d’ouvrir un maximum d’enneigeurs à la fois. »

Carlo Carmagnolo : « Si vous faites cela il n’y aura pas de souci, la station sera ouverte jusqu’en bas. »

Julien Mairot : « Oui mais cela a un coût. Aujourd’hui une retenue colinéaire de 100 000 m3 c’est entre 3 et 4 millions d’euros et l’installation de neige qui autorise à allumer tous les enneigeurs en même temps c’est de 1 à 1,5 million d’euros… Mais il faut être réaliste, actuellement ce n’est même pas la peine d’aller poser un dossier à la DDT pour faire un lac de 100 000 m3… Je ne me vois pas aujourd’hui conseiller à la commune de Saint-Colomban de se lancer dans un dossier pour mettre à jour l’installation de neige en sachant que ce sera très compliqué à défendre… »

Que faire ?

La question dépasse le cadre de la mission de Climsnow dont le représentant s’est bien gardé de répondre… Julien Mairot, lui, par contre, a indiqué : « Il faut arrêter de s’exciter pour faire de la neige sur le front de neige, on y arrivera pas car il y a des volumes de neige énorme à produire pour combler les trous. Il faut remonter sur une zone haute, recréer un espèce de front de neige où du point de vue climatique on voit une viabilité… Et pour la partie neige de culture ce qui serait le plus logique serait de faire le bouclage (de notre réseau) par le haut et pas par le bas et de se connecter sur le réseau du voisin. C’est ce qu’on peut conseiller comme exploitant. En faisant cela on s’affranchit aussi de la partie la plus avalancheuse et la plus difficile à exploiter du domaine skiable (les Écolors) qui nécessite une débauche technique monstrueuse. On a une centaine de points de tirs sur le plan d’intervention de déclenchement des avalanches (PIDA), une ligne sur Charmette à 45 %, des évacuations extrêmement difficiles, une piste des Bouyants particulièrement dangereuse. On n’a pas une montagne douce qui se prête à un ski familial. Le plus raisonnable c’est d’aller se connecter en direct sur la partie où il y a de la neige, exploiter la partie où il y a de la neige quitte à terme à la conforter avec le bouclage du réseau sur le voisin et démonter la partie basse. En somme faire la liaison par les airs (…) car il faut garder la liaison. 94 % du CA se fait sur domaine relié. On ne vend que du produit Sybelles. Moi quand j’étudie la dégradation du CA elle est telle que je peux même pas vous en parler. »

La vision de Julien Mairot est exactement celle sur laquelle travaille depuis de nombreuses années la municipalité de Saint-Colomban avec l’implantation d’un téléporté entre (dernière version) La Pierre et la Pierre du Turc. Mais au fait, où en est-on ? Julien Mairot : « Aujourd’hui on en est nulle part. L’été dernier il y a eu les premiers inventaires sur les potentiels tracés et aujourd’hui on a signé un devis avec un bureau d’études pour faire une pré-implantation de ligne pour voir si ça passe ou pas en terme financier. Et pour imaginer où seront les pylônes et déposer un dossier d’études d’impact… »

Cette étude Climsnow aidera-t-elle la municipalité à prendre des décisions ? En présentant la réunion, dans une courte introduction, Pierre-Yves Bonnivard a semblé le croire : « On a besoin de cette étude, qui a coûté environ 20 000 euros, pour prendre les meilleures décisions possibles pour l’avenir de la commune. » Cependant rien n’est moins sûr. Depuis sa création (2020) la société Climsnow a produit près de 198 études et analyses de ce type (3). Et donc autant de conclusions sur lesquelles s’appuie sans doute Carlo Carmagnola quand il affirme : « Je ne crois ni ceux qui disent que demain nous ne pourrons plus skier, ni ceux qui disent qu’on va pouvoir continuer avec le même modèle économique. » (4)

On pourrait donc toujours skier sur Saint-Colomban. Mais à quel prix pour la commune ? C’est à cette question que devra rapidement répondre la municipalité.

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(1) Une soixantaine de personnes ont assisté à cette réunion présidée par Pierre-Yves Bonnivard, maire de Saint-Colomban. Dans la salle on a noté la présence de Christian Frasson-Botton et Christine Reffet, adjoints au maire de Saint-Colomban, Valérie Favre-Teylaz et Marie Thérèse Ledain, conseillères municipales de Saint-Colomban, de Jacqueline Dupenloup, Nicole Roche, Annie Bordas et Jean-Luc Pluyaud, respectivement maire, adjointe et conseillers municipaux de Saint-Alban, de 4 employés de l’exploitant (SSDS régie intéressée de Saint-Colomban-des-Villards) dont Julien Mairot, directeur opérationnel, et de Pauline Sobol, chargée de mission territorial à la direction départementale des territoires (DDT) de la Savoie.↩︎
(2) Le moment de puissance d’une remontée mécanique est égal à son dénivelé multiplié par son débit en nombre de personne par heure.↩︎
(3) Une étude semblable pour le domaine des Sybelles aurait été rendue il y a un mois à Sybelles.com qui n’a pas rendu public les résultats.↩︎
(4) https://www.maregionsud.fr (6 mars 2023).↩︎

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