Une nouveauté technique réussie pour le barrage de Grand Maison
La retenue de Grand Maison est un barrage en remblai situé sur l’Eau d’Olle, majoritairement sur la commune de Vaujany (Isère) mais aussi, pour 8 à 10 % de sa superficie, sur la commune de Saint-Colomban (alpages de Rieuclaret). Elle forme un lac qui constitue le réservoir supérieur de la station de transfert d’énergie par pompage (STEP) de Grand Maison, centrale de pompage et de turbinage la plus importante de France. Cette centrale hydroélectrique située à 1 700 mètres d’altitude développe une puissance de 1 800 mégawatts (MW) soit 9 % du parc hydroélectrique de France.
Les travaux de construction ont commencé en 1978 et se sont achevés en 1985, pour une mise en exploitation fin 1987. Barrage de type poids en terre et enrochements (comme les barrages du Mont-Cenis et de Serre-Ponçon), ses dimensions sont impressionnantes : 550 mètres de long et 140 mètres de haut (160 mètres sur fondation), tout comme son volume de près de 140 millions de m3 d’eau (dont environ 100 millions de m3 proviennent de la fonte des neiges). Sa superficie est de plus de 2 km².
Le transfert d’énergie par pompage
Les retenues de Grand Maison et du Verney près de la commune d’Allemont (en aval de Grand Maison) constituent une STEP. L’usine, située avant Allemont, sur les rives du lac du Verney, peut être utilisée en fonction de la production des autres centrales françaises et de la demande sur le réseau électrique, soit pour produire de l’électricité (en turbinant l’eau comme une usine hydroélectrique classique), soit pour stocker de l’énergie potentielle en inversant le fonctionnement des turbines, l’eau de la retenue inférieure étant alors pompée vers la retenue supérieure.
Les pompes, situées uniquement dans la station souterraine, permettent de remonter 135 m3/s de la retenue inférieure vers le lac de Grand Maison, ce qui nécessite une puissance de 1 270 MW. La capacité utile de la retenue inférieure est de 14,3 millions de m3 d’eau. L’énergie utilisée pour remonter l’eau dans la retenue de Grand Maison correspondant à la surproduction d’électricité (essentiellement d’origine nucléaire) en période de basse consommation, ce qui fait que le barrage de Grand Maison est aussi appelé « barrage hydro-nucléaire ».
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Au total, l’unité de production, qui dispose de 12 turbines dont 8 sont réversibles, représente 8 % des capacités hydroélectriques françaises et 9 % du parc d’EDF. C’est aussi la centrale de pompage et de turbinage la plus puissante d’Europe, et la 7e du monde. En plus des centrales de Grand Maison et du Verney, on note la présence de l’usine Oz qui est composée d’une seule turbine de 11 MW. Au bout de deux minutes, la station peut fournir autant d’électricité que deux réacteurs nucléaires.
Comment répondre aux défis écologiques et « éco-logiques » ?
Cependant, avec l’arrivée des énergies renouvelables, le cycle de stockage et de déstockage des STEP a évolué pour répondre à l’intermittence du solaire et de l’éolien. Ces centrales doivent maintenant accumuler de l’énergie en cas de soleil radieux ou de vent fort, et pallier les déficits lorsque ces sources ne suffisent pas. Face à ces nouveaux défis écologiques et « éco-logiques », des améliorations d’infrastructures ont été nécessaires. C’est dans ce contexte que s’est inscrit l’une des initiatives du projet européen Xflex Hydro centré sur l’hydroélectricité. Dans ce cadre, un concept de pompage et de turbinage simultanés (PTS) a été expérimenté à la STEP de Grand Maison dans le but d’y apporter une mise à niveau afin de mieux correspondre au changement du paysage énergétique.
C’est en 2021 que l’équipe du projet Xflex Hydro a testé à Grand Maison ce que l’on appelle un « court-circuit hydraulique ». Cette technique consiste en la réalisation simultanée de pompage et de turbinage avec deux unités différentes. Ceci grâce à la configuration des conduites d’eau car celles-ci se croisent en certains points. Pendant le pompage, l’eau qui atteint ces intersections est donc en partie redirigée : une partie monte vers le bassin d’eau supérieur tandis que l’autre est déviée vers une turbine pour générer de l’électricité. Grâce à cette méthode, 40 % du pompage s’effectue en PTS.
Le principal intérêt du PTS est le soutien qu’il offre au réseau électrique en maintenant son équilibre. Normalement, lors des phases de pompage, la STEP ne peut réguler la fréquence du réseau, qui doit être constamment maintenue à 50 Hz. Cette régulation n’est possible que durant le turbinage. Avec Xflex Hydro, le PTS a permis à Grand Maison de gagner une réserve (ou puissance) d’équilibrage de 240 MW. L’impact des résultats est énorme : en cas de surproduction d’électricité, ou de trop forte demande, cette réserve est activée afin de stabiliser le réseau. Les 240 MW supplémentaires correspondraient à 20 % du besoin français en matière de puissance d’équilibrage. En outre, et cela n’est pas marginal, le système pourrait remplacer les centrales fossiles avec un potentiel d’économie d’environ 90 000 tonnes de CO2 par an en se substituant à des centrales à gaz.
Néanmoins, la complexité de la modification apportée au système de stockage de Grand Maison a exposé l’installation à de sérieux défis, notamment concernant les infrastructures existantes. Après des simulations numériques afin d’analyser le comportement dynamique de l’installation, les résultats ont rassuré les responsables : la centrale résiste bien aux pressions élevées requises et les ajustements apportés restent dans les limites acceptables. Parmi les risques potentiels envisagés, la perte d’énergie était à craindre, mais elle s’est finalement révélée minime. Et l’influence du PTS sur la stabilité des flux est apparue négligeable.
C’est donc suite à la validation du concept pour Grand Maison, qu’EDF prévoit désormais sa mise en pratique dans la centrale de stockage de Super-Bissorte, construite au milieu des années 30 et transformée en STEP dans les année 1980. Le barrage de Super-Bissote est situé sur la commune d’Orelle en Maurienne.
Christophe Mayoux
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■ Photo de ” Une ” : la retenue de Grand Maison – (Document EDF.)