Anciens combattantsHistoire

Cérémonies du 8-Mai 

Le temps était couvert ce 8 mai et frais (moins de 10 °C au petit matin) pour des cérémonies qui marquaient le 80e anniversaire de la capitulation nazie, à 10 heures à Saint-Colomban, 10 h 30 à Saint-Alban, selon le protocole habituel en présence des anciens combattants locaux, de leur porte-drapeau Sébastien Sornet, et de leur vétéran, Alfred Bozon, qui avait fait le déplacement depuis Annecy, d’élus municipaux, de cinq musiciens de la clique l’Écho des montagnes (dont Céline Clérin du Premier-Villard) mais – fait inhabituel – sans membre du corps des sapeurs-pompiers des Villards ni de représentant de la Gendarmerie. Absents également les enfants de l’école actuellement en classe de mer à Saint-Raphaël qui sont sinon toujours présents pour perpétuer le devoir de mémoire auquel tient Patrick Louadoudi, président des anciens combattants (lire ci-dessous).

Après la levée des drapeaux, le dépôt des gerbes par Patrick Louadoudi et Gilbert Émieux (Saint-Colomban), Armand Cartier-Lange, Daniel Quézel-Ambrunaz et Patrick Louadoudi (Saint-Alban), ce fut le moment des discours officiels.

■ Le dépôt des gerbes à Saint-Alban (ci-dessus) et à Saint-Colomban (ci-dessous).

Celui de Sébastien Lecornu, ministre des armées, et de Patricia Mirallès, secrétaire d’État aux anciens combattants et à la mémoire, rappelait en introduction une citation du général de Gaulle : « Tandis que les rayons de la Gloire font une fois de plus resplendir nos drapeaux, la patrie porte sa pensée et son amour d’abord vers ceux qui sont morts pour elle, ensuite vers ceux qui ont, pour son service, tant combattu et tant souffert ! Pas un effort de ses soldats, de ses marins, de ses aviateurs, pas un acte de courage ou d’abnégation de ses fils et de ses filles, pas une souffrance de ses hommes et de ses femmes prisonniers, pas un deuil, pas un sacrifice, pas une larme, n’auront donc été perdus ! » Et soulignait en conclusion : « Alors que les rapports de force internationaux se reconfigurent, souvenons-nous des sacrifices qu’une génération entière de Françaises et de Français a acceptés pour libérer le pays, pour le reconstruire et pour nous donner les moyens de notre souveraineté. »

Patrick Louadoudi (Saint-Colomban) et Georges Noël-Lardin (Saint-Alban) lurent ensuite le message de l’Union fédérale des anciens combattants qui rappelait que la Seconde Guerre mondiale « fut le plus important, le plus destructeur, le plus meurtrier des conflits de tous les temps : 100 millions de combattants, 62 millions de victimes en majorité civiles. Rendons hommage à ces hommes et à ces femmes qui sont entrés dans la Résistance et ont combattu pour la libération de la France occupée par les nazis. Rendons hommage aux combattants de la France libre et de tous ceux des armées alliées. Depuis août 1944, l’espoir renaît avec Paris libéré. De plus, n’oublions pas la « solution finale » mise en œuvre par les nazis avec les massacres génocidaires organisés industriellement par le recours aux chambres à gaz et aux fours crématoires. »

Après la minute de silence, l’Écho des montagnes interpréta Le Chant des partisans et La Marseillaise. Puis Jacqueline Dupenloup rappela la mémoire de Jacques Quézel-Ambrunaz, mort pour la France à 34 ans le 6 juin 1940 à Méru dans l’Oise, 4 ans jour pour jour avant le débarquement de Normandie, et deux semaines avant l’armistice de juin 40 signée à Compiègne. Elle évoqua alors et fit entendre, à l’aide de son téléphone branché sur une baffle, Le Chant des marais (parfois appelé Le Chant des déportés), adaptation française du chant allemand Wir sind die Moorsoldaten (Nous sommes les soldats du marais) écrit et composé en 1933 par des prisonniers communistes du camp de concentration allemand de Börgermoor (lire ci-dessous).

■ Devant le monument aux morts de Saint-Alban. À l’arrière-plan, le café du Merlet en travaux.

À la fin de la cérémonie de Saint-Alban, peu après 11 heures, un vin d’honneur a été servi à l’Auberge du Triandou, « une dernière pour Marc Vuillermoz », auquel Jacqueline Dupenloup appelait à rendre hommage. Les anciens combattants des Villards se sont ensuite retrouvés à l’Hôtel de la poste, pour partager un repas préparé par Patrick Martin-Fardon avec ravioles de Saint-Jacques, filet de bœuf aux senteurs des bois avec rizotto au beaufort, fromage sec ou blanc, omelette norvégienne et café, le tout agrémenté de vin de Savoie (chignin) et de côtes-du-rhône rouge.

Christophe Mayoux

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■ Photo de « Une » : cérémonie à Saint-Colomban.
■ Les photos qui illustrent l’article, « Une » comprise, sont de Christophe Mayoux.

Le Chant des marais

Le Chant des marais est l’adaptation en français d’un chant allemand écrit et composé en juillet 1933 par des prisonniers allemands antinazis au camp de Börgermoor, un des premiers camps de concentration conçus pour y enfermer les opposants au pouvoir hiltérien. Le travail, éreintant, consistait à assécher les marais voisins.

L’écriture de ce chant est une révolte : en effet, les SS obligeaient les détenus à chanter pendant le travail et les trajets, et imposaient des chants à la gloire du national-socialisme. L’histoire dit que deux paroliers et un musicien, communistes allemands, voulurent composer un chant pour décrire et dénoncer les conditions réelles de vie des prisonniers, un chant qui soit aussi un chant d’espoir.

Interprété pour la première fois dans le camp de concentration devant un millier de prisonniers, il devient véritablement l’hymne du camp. Son interdiction par les SS quelques jours plus tard, n’empêchera pas sa diffusion internationale. Adopté par les antifranquistes espagnols de 1936 comme par les mouvements scouts en 1946, il s’est inscrit comme le chant de mémoire de tous les déportés, devenant expression du souvenir des souffrances et des morts, et prenant place lors des cérémonies officielles.

Il a été interprété par les chœurs de la garde républicaine lors de l’hommage rendu à Simone Veil aux Invalides.

« Loin vers l’infini s’étendent de grands prés marécageux.
Pas un seul oiseau ne chante, sur les arbres secs et creux.
O terre de détresse, où nous devons sans cesse, piocher, piocher.

« Dans ce camp morne et sauvage, entouré de murs de fer,
Il nous semble vivre en cage, au milieu d’un grand désert.
O terre de détresse, où nous devons sans cesse, piocher, piocher.

« Bruits des pas et bruits des armes, sentinelles jours et nuits.
Et du sang, des cris, des larmes, la mort pour celui qui fuit.
O terre de détresse, où nous devons sans cesse, piocher, piocher.

« Mais un jour dans notre vie, le printemps refleurira.
Liberté, liberté chérie, je dirai « tu es à moi. »
O terre enfin libre, où nous pourrons revivre, aimer, aimer. »

Ceux qui ont vécu la monstruosité des camps de concentration et d’extermination sont des décennies sans parler de la déportation. Je cite : « Nous ne parlions pas car nous ne devions pas nous laisser submerger par le passé. C’était trop douloureux de raconter ce que nous avons vécu. Nous voulions le rayer de notre mémoire, ne pas le faire porter à nos enfants. Nous avons fui toute notre vie ce qu’on nous a fait vivre. Et si on arrivait à raconter, on ne nous croyait pas. Car les personnes qui n’ont pas vécu la réalité des camps ne peuvent pas comprendre. L’esprit normal, humain, ne peut pas envisager ce que nous avons vécu. Nous n’étions plus dans le monde des Humains. » Et puis, en vieillissant, ils se sont mis à parler, se disant : « Mais si nous ne parlons pas, qui saura ce que nous avons vécu. Il faut raconter. » Ginette Kolinka, née en 1925 à Paris, est la mère du batteur du groupe Téléphone. C’est une femme de 100 ans d’âge, pleine de vie. Elle a été arrêtée à 19 ans avec son père, son frère et son neveu, et déportée en avril 1944 au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau. Elle est passée aussi par les camps de Bergen-Belsen et Theresienstadt, avant d’être libérée en 1945.

Elle aussi, après la guerre, a gardé longtemps le silence sur ces années-là de sa vie. Aujourd’hui, elle dit : « Nos paroles sont en deçà de la vérité. Parfois, certains disent qu’on exagère ce qu’on a vécu. On n’exagère pas du tout… C’était encore pire que ce qu’on vous dit. »

Et cette femme centenaire, avec une humanité remarquable, dit aux jeunes autour d’elle : « Il faut se rendre compte que tout ce qui est arrivé c’est à cause de la haine. Il faut supprimer la haine, qu’on arrive à se supporter. Tout le monde a le droit de vivre comme il a envie de vivre, avec ses qualités et avec ses défauts, avec sa couleur de peau, avec sa religion. Tu as la peau blanche, tu as la peau noire, tu es chrétien, juif, bouddhiste, athée ou musulman : tu es un être humain. » ↩︎

Jacqueline Dupenloup

Patrick Louadoudi, président des anciens combattants : « Une association intercommunale, c’est génial ! »

Patrick Louadoudi a été élu président de l’Association des anciens combattants et victimes de guerre de la vallée des Villards à l’automne dernier. Il a succédé à Gilbert Émieux, qui en est désormais le vice-président (lire ICI). Patrick Louadoudi conçoit sa fonction comme celle d’un gestionnaire qui doit faire participer les adhérents de l’association (anciens combattants, veuves d’anciens combattants et pupilles de la nation) aux cérémonies commémoratives. Selon lui, la lecture des messages officiels ou le dépôt des gerbes par exemple ne doivent pas être l’apanage du président. C’est ainsi que cette année, à Saint-Alban-des-Villards, le message de l’Union nationale des anciens combattants a été lu par Georges Noël-Lardin et ce sont deux anciens combattants de cette commune qui ont procédé au dépôt de la gerbe.

L’association villarinche est affiliée à l’Union fédérale des anciens combattants mais, sauf cas exceptionnel, il y a très rarement des cérémonies communes avec les autres associations d’anciens combattants du canton car depuis les années 1920 chaque commune possède son monument aux morts et il est important que les commémorations se déroulent avec les habitants de la commune qui sont souvent des descendants des familles des soldats morts pour la France. Sans compter que l’on ne pourrait pas le 11-Novembre par exemple lors d’une cérémonie intercommunale effectuer l’appel aux morts qui serait trop long. De ce point de vue, l’organisation des cérémonies villarinches ne sont-elles pas une exception ? « Si et c’est génial ! estime Patrick Louadoudi. Faire les 2 commémorations l’une après l’autre dans les deux communes, avec des Villarins aux 2 commémorations, c’est un bel exemple de devoir de mémoire… »

Pour Patrick Louadoudi pour ce devoir de mémoire justement, les liens avec l’école intercommunale sont primordiaux. Le protocole des commémorations est établi avec Jacqueline Dupenloup et la directrice de l’école pour la lecture de textes ou des poèmes notamment. Les cérémonies du 8-Mai et du 11-Novembre sont des commémorations de conflits, le 14 juillet a davantage une teneur citoyenne.

Après avoir succédé à Georges Maquet, Patrick Louadoudi a laissé sa fonction de porte-drapeau à Sébastien Sornet (dont il est le remplaçant), mais il souhaiterait innover en intégrant un jeune villarin (enfant ou adolescent) comme porte-drapeau. « Nous avons deux drapeaux officiels, l’actuel qui est récent et un ancien drapeau. Alors il serait bien qu’à chaque cérémonie, les 2 drapeaux et les 2 porte-drapeaux cohabitent comme un rappel mémoriel de toutes les générations. » Les porte-drapeau sont des bénévoles, anciens combattants ou non, assurant lors des manifestations patriotiques et des commémorations le port du drapeau tricolore de leur association. Cette mission est hautement symbolique puisque le porte-drapeau rend hommage, au nom de la Nation française, aux combattants et aux disparus. Pour la directrice générale de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre : « De plus en plus de jeunes ressentent le besoin de prendre le relais de leurs anciens pour assurer cette fonction essentielle. Aussi, à vous qui aspirez à exercer cette noble fonction (…), je vous félicite pour votre engagement qui prouve que notre jeunesse est prête à s’investir de façon très concrète pour que la mémoire de celles et ceux qui ont combattu et souffert pour notre pays continue d’être honorée à la hauteur de ce que nous leur devons… ». L’équipement d’un porte-drapeau comprend le drapeau qui est tenu à l’aide d’un manche de 2 mètres appelé hampe supporté par un baudrier que le porte-drapeau place sur son épaule droite. Au sommet du drapeau est fixée une cravate tricolore, remplacée par une cravate noire lors d’obsèques. Les enfants et les adolescents villarins qui se sentiraient concernés peuvent contacter l’association des anciens combattants (boite postale dans le couloir conduisant à l’agence postale communale) ou un ancien combattant. Le plus jeune porte-drapeau de France est âgé de 7 ans, la valeur n’attend pas le nombre des années…

Patrick Louadoudi est donc plein d’espoir pour le futur de l’association villarinche et le devoir de mémoire dans notre vallée compte tenu des Villarins qui honorent de leur présence les cérémonies. Et gardons à l’esprit cette citation de René Char, poète et résistant français, en ces temps où la guerre est revenue en Europe, à nos portes : « À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s’asseoir. La place demeure vide, mais le couvert reste mis. » ↩︎

Christophe Mayoux

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