Veillée en Belledonne : une soirée réussie avec un spectacle, « Victor Victus cabaret pop », et des témoignages sur les enfances aux Villards autrefois
Cet automne des veillées ont été programmées dans 5 communes du massif de Belledonne par des bénévoles locaux dans le cadre de l’association Espace Belledonne. Depuis une vingtaine d’années, plus de la moitié des communes, sur les 59 que compte ce territoire, ont participé à ces animations culturelles aussi bien en Isère qu’en Savoie. Pour Ilona Genty, vice-présidente d’Espace Belledonne, « Belledonne et Veillées, c’est une forte mobilisation chaque année autour du plaisir de partager ensemble des moments conviviaux, d’échanges, de spectacles, de (re)découverte sur le temps d’hier, d’aujourd’hui, de demain ; sur nos traditions, nos métiers, nos sentiers, la nuit, la forêt, les étoiles… ».
Aux Villards, cette veillée (la seule en Savoie) s’est déroulée le 19 octobre à la salle des fêtes de Saint-Colomban, préparée par les deux communes et l’Association des Villarins et amis de la vallée des Villards (1). Étaient proposés : à 17 h 45 une pièce de théâtre intitulée Victor Victus cabaret pop interprétée par la compagnie l’Esprit du mardi ; à 19 h 30 un repas ; à 21 heures, des échanges sur le thème Des enfances aux Villards, autrefois et aujourd’hui à partir de récits, d’histoires, et/ou d’expériences personnelles sur le travail des enfants aux Villards aux siècles derniers.
Si le repas est toujours « attractif » (« On mange toujours bien et pour pas cher », dira l’un des quelque 90 convives) et le thème du débat propre à intéresser toutes les générations, cette année, grâce à une campagne de publicité efficace (affiches, flyers, presse) tant aux Villards (distribution dans les boites aux lettres, sur les panneaux d’informations des hameaux et électroniques, sur Intramuros pour Saint-Colomban-des-Villards et PanneauPocket pour Saint-Alban) que dans le canton de La Chambre et jusqu’à Saint-Jean-de-Maurienne, plus d’une centaine de personnes ont assisté au spectacle (2).
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Les 3 artistes de la Compagnie du mardi (deux comédiens Pierre Grammont et Juliette Leca et un guitariste Simon Lehuraux) sont arrivés aux Villards tôt dans la journée pour répéter une bonne partie de l’après-midi, tandis que 2 techniciens de la troupe montaient le décor sur la scène et effectuaient les réglages d’usage. Le thème de la pièce (d’une durée de 75 minutes environ) était ainsi résumé : « En parlant de son époque, Victor Hugo décrit la nôtre avec son thème atemporel : l’injustice sous toutes ses formes. Et son antidote : l’amour. Faut-il encore s’intéresser aux vieux textes et lire du Victor Hugo ? Oui, car sa plume est magique ! » Ce spectacle qui réinvente et revisite les textes engagés de Victor Hugo a reçu de bonnes critiques sur le plan national. Il a été plusieurs joué en Maurienne et présenté du 3 au 21 juillet derniers au Festival « off » d’Avignon (3).
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Victor Hugo a constamment lutté contre les injustices de toutes sortes : la misère, le travail des enfants, l’illettrisme (ne disait-il pas : « Chaque enfant qu’on enseigne est un homme qu’on gagne » ?), la condition féminine, la guerre… Dans ce cabaret à la fois « pop et sensible » recréé sur la scène de la salle des fêtes, la vie et l’œuvre de cet écrivain et l’histoire du XIXe siècle sont entrées en résonance avec notre époque.
Mais pourquoi Victor Victus ? Victor, le prénom d’Hugo, signifie victorieux alors que Victus signifie celui qui a perdu, qui n’a pas réussi, dont les vœux n’ont pas été exaucés, qui est infortuné, abattu. Cet antagonisme Victor / Victus permit, au gré des textes présentés, de mieux cerner les états d’âme de Victor Hugo, le poète mais aussi l’homme politique né en 1802 et mort en 1885 et dont le nom reste indissociable des grandes causes artistiques et politiques du XIXe siècle (4). Si le début de la pièce de théâtre a décontenancé quelques spectateurs (« On ne savait pas bien où on nous amenait.. »), la suite du spectacle fut très vivante grâce notamment à un accompagnement musical efficace et à des pauses ménagées entre les scènes durant lesquelles des précisions historiques étaient données.
Le repas préparé par Jean-Luc et Monique Pluyaud, les « cuisiniers » attitrés des animations qu’organise l’Association des Villarins et amis de la vallée des Villards, comprenait une terrine maison, des charcuteries de pays, un gratin dauphinois, du fromage (tomme de Savoie) et la tarte de rigueur.
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Le temps des échanges fut introduit par un diaporama d’une vingtaine de vues commentées par Jacqueline Dupenloup : « Nous avons construit un bref diaporama en cherchant des traces d’enfance dans les registres communaux de Saint-Alban-des-Villards, au temps de Victor Hugo, et dans quelques autres documents. Nous y avons trouvé tout à la fois témoignage des difficultés de vie dans notre vallée de montagne, mais aussi indéniablement la conscience de l’importance d’instruire. »
Ainsi, « lors des années suivant le rattachement de la Savoie à la France (1860), on trouve dans le budget des communes les sommes destinées à rémunérer les instituteurs et les institutrices locales. Les communes assurent les frais de l’éducation des enfants. » Après 1882 « on ne trouve plus dans les registres la mention de ces salaires, les enseignants sont devenus personnels d’État… » Mais reste à loger les écoliers et leurs maîtres et maîtresses. Le 29 juin 1882, le conseil municipal de Saint-Alban-des-Villards, « considérant que le village du Premier-Villard ne possède aucune maison d’école pour pouvoir loger un instituteur annuel ni même pour le logement des élèves est d’avis que la chapelle en ruine qui existe à ce village, laquelle se trouve dans une situation très convenable d’installation et assez grande pour pouvoir contenir 60 élèves, soit expropriée à cet effet »…
Christophe Mayoux (Lachenal) évoqua ensuite la vie de deux de ses grands-oncles, nés en 1898 et 1900, qui furent petits ramoneurs deux hivers de suite, et les difficultés qu’ils avaient endurées pour exercer ce « métier » alors qu’ils n’étaient âgés que d’une dizaine d’années, « un âge aujourd’hui consacré à la scolarité et aux amusements »… Des difficultés qui les poussèrent à convaincre leurs parents de ne pas envoyer leur petit frère au ramonage afin de lui éviter de connaître les mêmes conditions de travail et de vie. Christophe Mayoux mentionna aussi l’embauche de sa grand-mère à l’usine Bozon-Verduraz (usine de pâtes et de fabrication de caisses pour leur expédition, située à Saint-Étienne-de-Cuines), à 11 ans alors que l’âge légal requis pour travailler était alors de 12 ans minimum. Nul doute que les liens de parenté entre la famille de cette fillette et les frères Bozon-Verduraz, propriétaires de l’usine, y furent pour beaucoup…
Liliane Émieux (Martinan) raconta un souvenir de sa vie scolaire. On est dans les années 50. Les instituteurs Paul et Angèle Martinet (ils furent en poste de 1952 à 1955) sont en train de faire cours dans l’école du Chef-Lieu de Saint-Colomban quand on frappe à la porte de leur classe. Deux mères de famille, du Martinan et de Lachenal, entrent : « On vient chercher les enfants du Martinan et de Lachenal, car ça craint ! ». Et les enseignants de s’exécuter car, dans le langage villarin, « ça craint » signifie qu’un danger extrême d’avalanches plane sur les chemins et les routes après d’importantes chutes de neige…
Indiquant d’emblée qu’il était « un fils de Macaroni », Gilbert Pautasso (Le Châtelet), lui, a témoigné de ce qu’avoir des ascendances italiennes signifiait alors dans une petite vallée de Français… Ses parents ne le poussèrent pas aux études et il fut si souvent avec son père à découvrir la nature qu’à 9 ans il ne savait ni lire ni écrire… Mais sa vie a changé quand un oncle, instituteur, décida de le « prendre en main » et de l’emmener faire sa scolarité à Aix-Les-Bains, bien loin de prés et des forêts villarinches…, avec chaque soir des devoirs (dictée et calcul) pour rattraper sans tarder le temps perdu…
Jeanne Bozon (née Tronel), qui a fêté son centième anniversaire en avril dernier, aidée de sa fille Joselyne Martin-Garin, a parlé de la vie de jadis quand, par exemple, faute d’eau courante à la maison, on allait faire les lessives et autres tâches ménagères dans le Glandon tout « proche » des maisons de Lachal où elle résidait alors… « On n’était pas plus malheureux que les enfants d’aujourd’hui car on ne connaissait rien d’autre et que nous étions tous logés à la même enseigne. » Un regret toutefois… À l’école du Champet, Jeanne Tronel avait comme institutrice Joséphine Tranchant, originaire de La Rochette, qui épousera Jacques Bellot-Champignon. « Elle était très sévère mais compétente et la plupart de ses élèves ont obtenu leur certificat d’études. » Ce qui fut le cas de Jeanne Tronel qui aimait beaucoup apprendre et pleura de dépit quand il fallut se résoudre à quitter l’école pour s’occuper de ses 5 frères et sœurs, aider aux tâches domestiques et aux travaux de la ferme…
C’est sur ce témoignage émouvant que s’est terminée cette bien belle soirée. Une nouvelle fois, la « saison culturelle en montagne » d’Espace Belledonne a permis aux Villarins de croiser culture théâtrale, musicale et échanges locaux.
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(1) Et le soutien financier du département de la Savoie, de la région Auvergne-Rhône-Alpes via Espace Belledonne, de l’Association des Villarins et amis de la vallée des Villards et des deux communes.↩︎
(2) La participation au débat était gratuite, fixée à 5 euros pour le spectacle et à 13 euros pour le repas (15 euros pour le spectacle et le repas). Pour des raisons d’organisation (achats des denrées), les inscriptions aux repas étaient obligatoires, règlement à l’appui. Compte tenu des désistements de dernière minute quelque 90 repas ont été servis. Concernant le spectacle, une vingtaine de personnes qui n’avaient pas réservé se sont présentées à l’entrée. On peut donc estimer à plus d’une centaine le nombre de Villarins qui ont assisté à la pièce de théâtre sur les textes de Victor Hugo.↩︎
(3) Le Festival « off » d’Avignon est un festival alternatif, non officiel, de théâtre et de spectacles vivants. Il fut créé en 1966 en signe de protestation contre le Festival d’Avignon, dit « in », jugé trop élitiste. C’est aujourd’hui l’un des plus grands festivals au monde de compagnies indépendantes.↩︎
(4) Pour Jean d’Ormesson de l’Académie Française, « Hugo est d’abord un poète. À la question : « Quel est le plus grand poète français ? », tout le monde connaît la réponse d’André Gide : « Victor Hugo, hélas ! » Pourquoi « hélas » ? Parce qu’il y a quelque chose d’accablant dans la fécondité et l’éloquence de Hugo. »↩︎
■ Photo de « Une » : Sur la scène de la salle des fêtes de Saint-Colomban-des-Villards. – (Photo Annie Bordas.)